Paris vous aime magazine Janvier-Février-Mars 2024

Rabaut Saint-Étienne et Lepeletier de Saint-Fargeau. Instruire ou édu quer, ces deux orientations sont posées comme irréconciliables. L’instruction vise à transmettre des savoirs et à cultiver la raison; l’édu cation, elle, a pour tâche de trans mettre non seulement « des vérités de fait et de calcul » mais aussi « des opinions politiques, morales et religieuses » ( Premier mémoire ). Condorcet récuse l’orientation édu cative car, si l’instruction affranchit par les vertus intrinsèques du savoir, l’éducation, en revanche, modèle et domestique. L’éducation est de plus une prérogative parentale. Et à s’ar roger celle-ci, non seulement l’école se fourvoie dans sa mission, mais elle porte aussi atteinte aux droits légitimes des parents. À la famille le devoir d’éduquer, à l’école celui d’instruire et d’éclairer. Il faut donc « rendre la raison popu laire » tout en veillant à ce que les différences de savoir n’entraînent pas des rapports de subordination. La tâche de l’école consiste alors à dispenser les savoirs élémentaires, véritable socle commun de compé tences avant l’heure. Car ces savoirs, dérivés des savoirs scientifiques disponibles, doivent obéir, comme l’a bien montré Catherine Kintzler ( Condorcet : l’instruction publique et la nais sance du citoyen ), à deux principes épistémologiques originaux. Un principe de suffisance : leur maî trise garantit l’autonomie intel lectuelle. « On enseigne dans les écoles primaires, ce qui est néces saire à chaque individu pour se conduire lui-même et jouir de la plénitude de ses droits » ( Rapport sur l’instruction publique , 1792). Et un principe d’ouverture : ces savoirs s’ouvrent sur d’autres savoirs, plus élaborés, ce qui per met à l’esprit qui a suffisamment de vivacité intellectuelle d’atteindre les sommets de la connaissance. Les savoirs élémentaires ne sont donc pas des savoirs rudimentaires qui n’auraient qu’une utilité pra tique, ils sont aussi les savoirs pre miers de la connaissance. Savoirs organisés de manière progressive, qui permettent de concilier

W hen we read a great phi losopher of the past, we have the strange feeling that we are reading a contemporary voice so vivid and strong it contin ues to speak to us through the cen turies. So it is with the writings of Nicolas de Condorcet on both educa tion and the rights of women. At the time of the French Revolution in the 18th century, when there was little interest in the education of girls, this Enlightenment mathematician and politician was a pioneer. In his book Cinq Mémoires sur l’Instruction Publique (1791), he argued that boys and girls should have access to the same education because universal truths belong to everyone. Condorcet’s essay On the Admission of Women to the Rights of Citizenship (1790), argued that women could only exercise their rights in peace if they too had access to knowledge. It was not just about allowing girls to study the same subjects as boys, but also to create mixed classes, ”As the instruction should be generally the same, it should be common and entrusted to a same teacher from either gender”. Way ahead of his time, Condorcet sparked discus sions about schooling that are very much alive today, from the estab lishment of a core of basic knowl edge to the question of competition in schools and the creation of an organisation to oversee curriculum. We take a journey through this sur prisingly modern way of thinking about education. Common knowledge The revolutionary period saw an opposition between advocates of public education, of which Condorcet was the leading figure, and supporters of a national educa tion to impart knowledge and use reason, represented in particular by Rabaut Saint-Etienne and Lepeletier de Saint-Fargeau. The two divergent approaches, to teach or to educate, were considered irreconcilable. Condorcet rejected the educational approach because, whereas teach ing liberates through the intrinsic virtues of knowledge, education models and domesticates.

Q uand on lit un grand philosophe, même s’il est mort depuis plus de deux siècles, on a l’étrange sentiment de lire un de nos contemporains, d’entendre une voix si vive et si forte qu’elle nous parle encore. C’est le cas lorsque l’on se penche sur les textes majeurs que Nicolas de Condorcet (1743-1794) nous a lais sés sur l’école et l’enseignement. Au XVIII e siècle, alors qu’on accor dait peu d’intérêt à la formation intellectuelle des filles, ce mathé maticien des Lumières, homme politique sous la Révolution fran çaise, se positionnait en précurseur. Dans Cinq mémoires sur l’instruc tion publique (1791), il défend l’idée que filles et garçons doivent avoir accès à la même instruction, car la vérité, universelle par nature, est due à toutes et à tous. De plus, les femmes ne pourront exercer leurs droits sereinement que si elles sont, elles aussi, conviées à la table du savoir, explique-t-il dans son essai Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790). Il ne s’agit pas seulement de permettre aux filles d’étudier les mêmes pro grammes que les garçons, mais d’ores et déjà, de créer des classes mixtes : « Puisque l’instruction doit être généralement la même, l’en seignement doit être commun, et confié à un même maître qui puisse être choisi indifféremment dans l’un ou l’autre sexe » ( Premier mémoire ). En avance sur son temps, Condorcet soulève des débats sur l’école qui animent encore notre époque, de la constitution d’un socle de savoirs fondamentaux à la question de la compétition sco laire, en passant par une instance garante des programmes. Voyage dans une pensée éducative d’une étonnante modernité. Savoirs communs La période révolutionnaire a vu s’af fronter les tenants de l’instruction publique, dont la figure embléma tique est précisément Condorcet, et les tenants d’une éducation natio nale, représentée notamment par

CE QUE CONDORCET À ENCORE À NOUS DIRE SUR L'ÉDUCATION

De la constitution d’un socle commun de connaissances à la question de la compétition scolaire, ce mathématicien des Lumières soulève des débats sur l’école qui animent encore notre époque.

WHAT CONDORCET CAN STILL TEACH US ABOUT EDUCATION From the establishment of a common core of knowledge to the question of competition in schools, this Enlightenment-era mathematician inspired discussions about educational reform that are still relevant today.

L’article est à retrouver en intégralité sur The Conversation , média indépendant en ligne et sans but lucratif.

Boris Séméniako

Eirick Prairat

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