Paris vous aime magazine avril-mai-juin 2022

A privileged life They met at the intersection of rue du Bac and rue de Varenne early in the morning, when the publisher was walking his dog. The writer was an insomniac who came out dressed “in a kind of military jacket, colourless, shape- less pants, and a filthy felt hat”, a gift from John Ford, whom he revered. His morning meetings began at around 7 am at Le Brazza, opposite his apartment, where he ordered “cof- fee and hard-boiled eggs, of which he only ate the yolks, while reading a newspaper”, as described by Myriam Anissimov in her biog- raphy RomainGary, Le Caméléon . He thenwent back to his apartment to write or headed to the Rue du Faubourg Saint-Honoré for a swim at the Cercle de l’Union Interalliée, housed in a private mansion where politicians, diplomats, journalists, and artists met. He often had lunch with his publishers, walked to Le Récamier, a stone's throw from the Bon Marché, or to Bras- serie Lipp on Boulevard Saint-Germain. On the way back, he would systematically stop at the Gallimard bookstore on Boulevard Raspail. He ordered superb coloured silk shirts from his tailor on Rue du Four, enjoyed a last coffee at Le Rouquet on Boulevard Saint-Germain, then made a detour to greet his friend Robert Galli- mard, one of the few to know Émile Ajar’s true identity. Gary spent his afternoons writing, a passion since childhood. But on December 2, 1980, Gary, haunted by the fear of ageing, arranged his own death: following lunch with Claude Gallimard, the only author awarded two Goncourt prizes bought a red bathrobe, stretched out on his bed, and shot himself in the mouth. “I have at last said all I have to say”, he wrote, specifying that his gesture was unrelated to his wife Jean Seberg’s death the previous year. He added: “Aficionados of bro- ken hearts should apply elsewhere”. A tragic end for Roman Kacew of Russian descent who loved France, bravely fought for his country during the war, and greatly admired General de Gaulle. "I don't have a drop of French blood, but France runs through my veins", he wrote. Decorated with the Croix de Guerre, the Legion of Honour, and named a Com- panion of the Liberation, Gary received full military honours at the Saint-Louis des Invalides church, followed by a Russian chant performed by singer Anna Prucnal.

raconte Roger Grenier, son éditeur. «Romain Gary est devenu un ami proche, mais il vivait dans le drame perma- nent. Drame réel ou imaginaire. Impossible, avec ce travail, de faire la part entre le personnage et l’écrivain.» Une vie privilégiée C’est au carrefour de la rue du Bac et de la rue de Varenne qu’ils se croisent tôt le matin, lorsque l’éditeur promène son chien. L’écrivain est insomniaque et sort vêtu «d’une sorte de veste militaire, d’un pantalon sans couleur et sans forme, et coiffé d’un feutre crasseux» . Un chapeau offert par John Ford que Gary vénère. Son premier rendez-vous matinal a lieu vers 7 heures au Brazza, en face de chez lui, où il commande «un café et des œufs durs dont il ne man- geait pas le blanc, en lisant le journal» , comme le rapporte Myriam Anissimov dans sa biographie Romain Gary, le caméléon . Puis, retour à l’appartement pour travailler, ou direction rue du Faubourg Saint-Honoré pour nager au Cercle de l’union interalliée. Un splendide hôtel particu- lier doté d’un centre sportif où se rencontrent politiques, diplomates, journalistes, artistes. Pour le déjeuner qu’il partage souvent avec ses éditeurs, il se rend à pied au Ré- camier, à deux pas du Bon Marché, ou chez Lipp sur le boulevard Saint-Germain. Au retour, il s’arrête systéma- tiquement à la librairie Gallimard, boulevard Raspail, où il dispose d’un compte. Rue du Four, il commande de su- perbes chemises en soie colorée à son tailleur. Il prend un dernier café au Rouquet, boulevard Saint-Germain, puis fait un crochet pour saluer son ami Robert Gallimard qui sera mis dans la confidence sur la véritable identité du mystérieux Émile Ajar. Les après-midi sont consacrés à l’écriture, une passion qui l’habite depuis l’enfance et qu’il abandonnera quelques mois avant le «Jour J». Le 2 dé- cembre 1980, Romain Gary, hanté par la peur de vieillir, va mettre en scène son départ: après avoir déjeuné avec Claude Gallimard, l’unique auteur couronné de deux prix Goncourt achète une robe de chambre rouge, s’étend sur son lit et se tire une balle dans la bouche. «Je me suis enfin exprimé entièrement» , écrira-t-il en précisant que son geste n’avait aucun rapport avec la disparition de sa femme Jean Seberg, un an plus tôt. Et d’ajouter, pour lever toute ambiguïté: «Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.» Une fin tragique pour Roman Kacew, de son vrai nom, d’origine russe, qui adorait la France et avait risqué sa vie pour elle pendant la guerre. «Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines» , écrivait-il, lui qui vouait une admiration sans borne au général de Gaulle. Décoré de la croix de guerre, de la Légion d’honneur et nommé compagnon de la Libé- ration, Romain Gary reçoit les honneurs militaires de la France à l’église Saint-Louis des Invalides, suivis d’une mélopée russe entonnée par la chanteuse Anna Prucnal.

Romain Gary accompagné de sa femme Jean Seberg, et le romancier Georges Kessel à la brasserie parisienne Lipp, le 8 décembre 1966. Romain Gary accompanied by his wife Jean Seberg and novelist Georges Kessel at the Brasserie Lipp, December 8, 1966. Jean Seberg et Romain Gary lors du tournage de son film Les Oiseaux vont mourir au Pérou , en 1968. Jean Seberg and Romain Gary during the shooting of his film The Birds Come Die in Peru , 1968.

ÉMILE AJAR, ET BIEN D’AUTRES ÉMILE AJAR, AND MANY OTHERS

"I sometimes feel the need to change my identity, separate myself from who I am, when I'm writing", said Romain Gary. His most famous double was Émile Ajar, author of four books including 1975's Prix Goncourt winner. He wrote in di erent styles: L'Homme à la Colombe (The Man With a Dove), as Fosco Sinibaldi (1958); Les Têtes de Stephanie (Stephanie’s Heads), as Shatan Bogat (1974). The secret was well-kept until after his death. In 1981's Life and Death , Ajar concluded his novel thus: “I had a great time. Goodbye and thank you". His prank had fooled the entire literary world.

«J’éprouve parfois le besoin de changer d’identité, de me séparer un peu de moi-même, l’espace d’un livre» , confie Romain Gary sans que l’on soupçonne la moindre supercherie. Le plus connu de ses doubles reste Émile Ajar, auteur de quatre livres dont le prix Goncourt 1975. À chaque fois, de nouvelles histoires, dans des styles di érents comme L’Homme à la colombe, signé Fosco Sinibaldi (1958) ou Les Têtes de Stéphanie, de Shatan Bogat (1974). Un secret bien gardé jusqu’à ce que les masques tombent, à la surprise générale, après sa disparition. Dans Vie et Mort publié en 1981, Émile Ajar conclut son roman par un «Je me suis bien amusé. Au revoir et merci» . Un sacré tour joué au monde littéraire qui ne l’a pas toujours épargné.

TREVISANI, SERGE / FONDS FRANCE-SOIR / BHVP / ROGER-VIOLLET" - UNIVERSAL PRODS FRANCE/KOBAL/SHUTTERSTOCK

BIO

1914 Roman Kacew, son nom de naissance, alias Romain Gary, naît le 21 mai à Vilnius, en Lituanie. Roman Kacew, aka Romain Gary, was born on May 21 in Vilnius, Lithuania.

1940 Romain Gary s’engage dans les Forces

1945 Début de sa carrière diplomatique. Il est nommé secrétaire d’ambassade à Sofia, en Bulgarie. At the start of his diplomatic career, he was appointed embassy secretary in Sofia, Bulgaria.

1956 Premier prix Goncourt pour son roman Les Racines du ciel . First Goncourt Prize for his novel The Roots of Heaven.

1975 Il obtient un second prix Goncourt avec La Vie devant soi , sous le pseudonyme d’Émile Ajar. He won a second Goncourt Prize with The Life Before Us , under the name Émile Ajar.

1980 Le 2 décembre, Romain Gary se donne la mort dans son appartement parisien. On December 2, Romain Gary killed himself in his Paris apartment.

aériennes françaises libres aux côtés du général de Gaulle. Romain Gary joined the Free French Air Force alongside General de Gaulle.

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