Paris vous aime magazine Octobre-Novembre-Décembre 2022

POURQUOI

NOUS CRÉONS

DES MONDES

IMAGINAIRES

Selon deux cognitivistes, nos désirs d’exploration et de découverte peuvent

Cognitivists Edgar Dubourg and Nicolas Baumard say our human need for exploration and discovery is satisfied by stories about imaginary worlds. WHY WE CREATE IMAGINARY WORLDS

être satisfaits par la lecture de fictions se déroulant dans des mondes inventés.

En collaboration avec Phébé , la veille d’idées internationale par Le Point

Marius Mercier, normalien, étudiant-chercheur en sciences cognitives Boris Séméniako

L ’année 1914 marque les premiers développe- ments d’Arda, le monde pensé par Tolkien, qui fut le premier récit à accorder une place prépondérante à un monde imaginaire complexe, les personnages et leurs aventures étant au mieux d’égale importance. Les lecteurs de La Comédie humaine n’ont aucune peine à comprendre le monde dans lequel évoluent les quelque 3000 individus fictifs inven- tés par Balzac durant 90 ouvrages. Mais pour ceux qui découvrent Le Seigneur des anneaux , la com- préhension de la fiction nécessite l’acquisition de connaissances sur ce nouveau monde singulièrement différent du nôtre. C’est précisément la compréhension de l’apparition de ce type particu- lier de fiction qui intéresse Edgar

I n 1914, J.R.R. Tolkien dreamed up the realm of Arda, the first story to create a complex imagi- nary world, with its characters and adventures. Readers of Balzac's The Human Comedy can easily compre- hend hisworld, inwhich some 3,000 fictitious characters evolve over 90 volumes. But for those just discover- ing The Lord of the Rings, following the story requires immersion into a whole newworldmarkedly different from our own. Edgar Dubourg and Nicolas Bau- mard have tried to understand the popularity of this type of fiction: Why create fictional worlds for a story that might just as well unfold in the real world? Why do stories of imaginary worlds, like Star Wars, The Avengers and Harry Potter, carry such broad appeal? In short, what purpose do they serve?

positive entre le fait d’être ouvert à de nouvelles expériences et celui d’apprécier les films comportant des mondes imaginaires. Les auteurs passent ainsi en revue les preuves en faveur d’un tel mécanisme. Du point de vue évo- lutionnaire, la motivation pour l’exploration est particulièrement bénéfique pour les espèces chan- geant d’environnement puisqu’elle mène à la découverte de nouvelles informations, utiles à la survie et à la reproduction. Par exemple, des cher- cheurs ont montré que les bélugas aimaient explorer leur environne- ment même en l’absence de récom- pense. Plus surprenant, certains animaux préfèrent payer un coût pour continuer à explorer leur envi- ronnement : dans un jeu de hasard à deux options réalisé en laboratoire, des macaques rhésus étaient

Dubourg et Nicolas Baumard : pourquoi vouloir créer des mondes fictifs pour une histoire qui pour- rait se passer dans le monde réel ? Pourquoi les fictions contenant des mondes imaginaires ( Star Wars, Avengers, Harry Potter ) attirent- elles tant le public ? En somme, pourquoi des mondes imaginaires ? Attraction culturelle Les auteurs de Why Imaginary Worlds? The psychological foun- dations and cultural evolution of fictions with imaginary worlds s’ins- crivent dans la théorie de l’attrac- tion culturelle développée par Dan Sperber, qui explique l’évolution de la culture en s’intéressant aux biais humains. Ainsi, celle-ci n’est jamais parfaitement répliquée ni trans- mise de manière aléatoire, mais elle est toujours reconstruite selon les

contraintes posées par notre cer- veau. C’est pourquoi les fictions ont tendance à utiliser notre sensibilité à certains stimuli pour attirer notre attention. Les relations amoureuses, les trahisons, la quête d’un statut social et la compétition au sens large sont des thèmes récurrents dans les fictions parce que notre cognition a évolué pour y être sensible dans le monde réel. Dans cette approche, un monde imaginaire est un superstimuli, c’est-à-dire qu’il est spécifiquement pensé pour exploiter la psycholo- gie humaine (ici, une préférence pour l’exploration), afin de capter l’attention des consommateurs. En effet, en utilisant une base de don- nées de 3,5 millions de personnes associant les traits de personnalité et les goûts cinématographiques, les auteurs ont montré une corrélation

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