Paris vous aime magazine Juillet-Août-Septembre 2025

IDÉES

cadre hétéronormé, mais aussi au refus d’une forme d’infantili sation ou d’hypersexualisation… sans compter le caractère douloureux et coûteux de l’opération. En France, les femmes qui ne s’épilaient pas le pubis étaient 15 % en octobre 2013, contre 28 % en janvier 2021. Plus globalement, la pro portion de femmes épilées diminue : 85 % en octobre 2013, contre 72 % en janvier 2021. Mais la barbe, dira-t-on. Voilà un attribut pileux qui manifeste l’appartenance au genre masculin – quoiqu’elle puisse faire l’objet d’un jeu queer avec le genre, comme en témoigne le chanteur drag queen Conchita Wurst, gagnant de l’Eurovision en 2014. La barbe d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle des « poilus » de 1914, ni avec la moustache drue que vantaient les héroïnes de Maupassant (dans un court texte intitulé La Moustache ). La barbe d’aujourd’hui n’est pas non plus celle, hirsute, du révolutionnaire, mais une barbe entretenue avec une tondeuse à sabots – la « hype » autour des barbiers pointus en témoigne. UNE INVERSION DES USAGES La barbe est de nos jours un signe d’entrée dans la vie adulte (d’après l’enquête Opinion Way de 2018, 92 % des 24-35 ans la portent) alors que, négligée, ce fut longtemps un signe d’entrée dans la vieillesse. Ce qui frappe, c’est donc cette inversion des usages et des significations. Cette différence de génération se reflète aussi dans les appréciations des femmes : d’après la même enquête, les jeunes femmes en couple sont peu séduites par des visages complètement rasés (17 %), alors que 42 % des femmes de plus de 35 ans apprécient ce style. Autre témoi gnage de cette inversion : 44 % des plus de 50 ans se rasent tous les jours, 6 % seulement des moins de 35 ans. Nous sommes passés, chez les hommes, d’une génération au visage lisse à une génération valorisant le poil sur le visage, d’une esthétique faciale glabre à une esthétique pileuse – bien que domptée. Dans les années 1980-1990 caractérisées par un minimalisme esthétique et où dominaient les idéologies moder nistes, tout était lisse : le glabre, le clean, la coupe rase des garçons, se sont accordés avec le gris froid de l’ordinateur, la simplicité lisse du mobilier et la nudité des façades ; seuls sur les visages une « mouche » ou quelques poils en bordure des lèvres rappelaient la différence de genre. Chez les femmes aussi, cette idolâtrie du lisse semble avoir vécu et les mannequins les plus en vue n’hésitent pas à exhiber des aisselles velues, tandis que certaines influenceuses assument des jambes poi lues. Ce mouvement fut initié par Julia Roberts et Milla Jovovich qui exhibaient fièrement en 1999 leurs aisselles dont elles avaient laissé repousser les poils. Serait-ce l’annonce d’un – improbable – retour vers « une esthétique poilue », une expression que Salvador Dali employait pour caractériser l’architecture de Gaudi ? La mise en relation de la manière d’entretenir ses poils et des domi nantes stylistiques est manifeste à d’autres périodes de l’histoire. Ainsi à la fin du XVIII e siècle. L’exubérance des jardins baroques, la prolifération ornementale des chapelles de la même époque et les extraordinaires coiffures : perruques du règne de Louis XVI, ornées de plumes, de rubans, de bateau… participent d’un même schème esthétique. Scruter une société par ses recoins pileux peut paraître a priori bien futile. Mais ces jeux de l’apparence qui semblent détour ner de l’essentiel nous y ramènent brutalement quand on considère les passions, les polémiques, les interdits, les violences qu’ils peuvent susciter. Comme souvent, l’accessoire (ici, le lisse et le dru) est une fenêtre privilégiée pour humer l’air du temps. ◆ Les sens du poil - Une anthropologie de la pilosité , de Christian Bromberger, Creaphis éditions.

this case, the desire to affirm one’s ethnicity took precedence over the general feminine practice of having smooth legs. NORMS REDEFINED Following the recent wave of feminism sparked by the #MeToo movement, many women today are rejecting the idea of smoothness as a refusal to conform to gender norms and a rejection of the objectification and sexualisation of women. In France, the percentage of women who did not wax their pubic areas rose from 15% in October 2013 to 28% in January 2021, while the proportion of women who waxed fell from 85% to 72% over the same period. With regard to men’s beards, while male facial hair under scores male identity, it can also be used to challenge gender norms. Take Conchita Wurst, the singer and drag queen who won the 2014 Eurovision Song Contest. Today’s beard is not shaggy like the revolutionary’s, but cropped and well-groo med. The burgeoning number of barbers who specialise in beard styling is testament to this trend. A 2018 Opinion Way survey found that 92% of men aged 24–35 wore some form of beard, now considered a symbol of adulthood. Before, beards were a sign of old age and viewed as a sign of general dishevelment. The survey also found that only 17% of women under the age of 35 in relationships were attracted to clean-shaven faces, compared with 42% of women over 35. It was found that 44% of men over the age of 50 shave daily, compared with only 6% of men under 35. We have moved from a generation of smooth-faced men to one that values facial hair, shifting from a hairless aesthe tic to a tamed hairiness. In the 1980s and 1990s, a period characterised by minimalist aesthetics and modernist ideologies, everything was sleek and smooth. Clean-shaven faces went hand in hand with cold, grey computers, spare modernist furniture and bare walls. Women’s obsession with smoothness also seems to be nea ring an end. Prominent models are flaunting hairy armpits and certain influencers are embracing hairy legs. Julia Roberts and Milla Jovovich popularised this trend when they proudly displayed their hairy armpits in 1999. Might this signal an unlikely comeback for “hairy aesthetics”, a term coined by Salvador Dalí to describe Gaudí’s architecture? Although examining a society through its relationship to body hair may seem futile at first, the passions, controver sies, prohibitions and violence generated by these appea rance-related issues are actually essential. The pursuit of smoothness or coarseness provides a privileged insight into the zeitgeist. ◆ Les Sens du Poil - Une Anthropologie de la Pilosité , by Christian Bromberger, Creaphis Editions.

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