Paris vous aime magazine Juillet-Août-Septembre 2025
IDÉES
confondues. Dès le XVIII e siècle, la Parisienne est dépeinte comme une « fashion victim » et ce bien avant la lettre. Pour Rousseau et ses contemporains, il s’agit d’abord d’une femme folle de mode et de parure, enjeu alors décisif dans un espace social où le « paraître » engage le rang et l’identité. Mais si l’au tonomisation de la corporation des couturières et la création de celle des marchandes de mode permettent à un petit nombre de femmes aisées d’endosser les vêtements de la Parisienne, celle-ci reste, dans les esprits, intrinsèquement associée à la femme de la haute aristocratie. Tout bascule avec la Révolution française. En ce siècle de démocratisation du costume et de la mode, les excès vestimentaires et comportementaux des élites de l’Ancien Régime, tout particulièrement féminines, sont unanimement condamnés. À l’instar de Marie-Antoinette, devenue symbole de la mauvaise reine, coquette, dépensière et « débauchée ». La « mondaine », en tant que personnage générique, est, au XIX e siècle, presque tou jours violemment attaquée : oisive, frivole, inutile, inconsciente de ses devoirs, elle est, avec la prostituée, l’un des contre-modèles de la femme au foyer. Mais les règles sociales basculent rarement aussi vite que les mœurs. Les normes bourgeoises en matière de relation entre les deux sexes triomphent progressivement au XIX e siècle, faisant de « la femme » un ange du foyer, dévoué à sa famille et à ses activités domestiques, mais les sociabilités masculines, amicales et professionnelles notam ment, restent largement influencées par les pratiques nobiliaires. Ces tensions entre modèle aristocratique et modèle bourgeois, qui accordent tous deux une importance centrale, mais divergente, à la femme mariée et à son rôle de maîtresse de maison, favorisent l’émergence, à partir des années 1840, de ce qu’Alexandre Dumas fils appelle « le demi-monde » ; c’est-à-dire un monde de prostituées de luxe et de maîtresses richement entretenues où les femmes se doivent d’incarner l’imaginaire sulfureux et frivole de la Parisienne issue de la bonne société, tout en restant à la marge de la société bourgeoise. TOURISME SEXUEL ET DEMI-MONDE La figure de la demi-mondaine est en effet bien plus qu’une image de Parisienne, elle est la personnification de Paris en tant que capitale des plaisirs et de la vie urbaine, source de jouissances charnelles et de plaisirs amoureux. Au point que le demi-monde, dont les images sont largement propagées par la littérature et le répertoire théâtral français, suscite, dans le dernier tiers du XIX e siècle, un important tourisme sexuel. La fascination féminine pour la demi-mondaine et sa vie de Parisienne « libérée » ne suit, bien évidemment pas, les voies de la consommation sexuelle, mais celles de l’emprunt et de l’imitation. Dès 1879, Lola Montès publie L’art de la beauté chez la femme. Secrets de la toilette , tandis qu’en 1904-1905, Liane de Pougy dirige, du moins officiellement, L’art d’être jolie , revue illustrée hebdomadaire. Les grandes courtisanes parisiennes de la Belle Époque sont à la fois incarnations de la femme fatale, icônes de la vie parisienne, lanceuses de modes et prescriptrices en matière de beauté. Ce n’est qu’au cours du XX e siècle, et en lien avec les évolutions en matière de sentiments amoureux et de pratiques sexuelles, que les figures de la demi-mondaine et de la Parisienne se dissocient. Tout comme le passé de Paris en tant que bordel de l’Europe s’efface aujourd’hui derrière l’imaginaire de la capitale romantique et les cadenas du pont des Arts. ◆
distinction. As early as the 18th century, this careful attention to appearance earned Parisian women a reputa tion as “fashion victims”, well before the term was coined. For Rousseau and his contemporaries, the Parisienne was above all a fashion-conscious being. Fashion was a defi ning characteristic in a social setting where one’s status and identity were determined by one’s appearance. While dressmakers and fashion merchants were opening Parisian fashions to a select group of wealthy cosmopolitan women, these fashion items continued to be associated with the high-ranking aristocracy. The French Revolution changed all that. During this period of democratisation in fashion, the extravagant outfits and manners of the Ancien Régime elite, particularly women, were heavily criticised. Marie Antoinette, for example, became the archetypal “bad queen”, flirtatious, extravagant, and “debauched”. In the 19th century, the socialite was almost always portrayed negatively. Considered a counter-model to the housewife, she was seen as idle, frivolous and neglectful of her duties. However, social mores evolve more slowly than social morals. During this period, bourgeois norms gradually prevailed in relationships between the genders, turning women into domestic angels devoted to their family and household duties. Meanwhile, men’s sociability – particularly with regard to friendship and work – was still largely influenced by the practices of the nobility. The contrast between these two models, both of which placed great emphasis on the married woman and her role as mistress of the house, led to the emergence of “le demi-monde”, as described by Alexandre Dumas fils, from the 1840s. This was a world of wealthy mistresses and luxury concubines. These women embodied the sultry, frivolous Parisian socialite while remai ning on the fringes of polite society. SEX TOURISM AND THE DEMI-MONDE The “demi-mondaine” was much more than just an image of a Parisienne. She embodied Paris as the city of pleasure and urban life, offering both carnal pleasure and romantic love. In the last decades of the 19th century, depictions of this “demi-monde” in French literature and theatre made Paris a popular destination for sex tourism. Though women were fascinated by this “liberated” Parisian lifestyle and bor rowed from her fashion sense, this imitation did not extend to their sexual behaviour. In 1879, Lola Montès published
L’Art de la Beauté chez la Femme: Secrets de la Toilette and in 1905, Liane de Pougy became the director of L’Art d’Être Jolie, a weekly illustrated magazine. The Parisian courtesans of the Belle Époque embodied the femme fatale, becoming icons of Parisian life and setting its fashion trends. It wasn’t until the 20th century’s sexual evolutions and revolutions that the Parisienne became distinct figures. Paris’ salacious image as the brothel of Europe was replaced by its status as the city of romance, symbolised by the padlocks on the Pont des Arts bridge. ◆
L’AUTRICE Lola Gonzalez Quijano,
docteure en histoire, Université Toulouse – Jean Jaurès THE AUTHOR Lola Gonzalez Quijano, PhD in history, Université Toulouse – Jean Jaurès.
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