Paris vous aime Magazine Jan-Fév-Mars 2022

setting ». Ils continuent, en effet, de déterminer, aux yeux de l’opi- nion publique, les principaux sujets qui, selon elle, doivent être tenus comme dignes d’intérêt. Ce sont eux qui, en combinant désor- mais l’usage des anciens et des nouveaux vecteurs d’information, donnent encore aux thèmes d’ac- tualité leur importance. Djerf-Pierre et Shehata expliquent les résultats de leur étude par les particularités de l’environnement médiatique suédois. Celui-ci est caractérisé, comme l’ensemble des « écosystèmes » médiatiques de l’Europe du Nord, par un poids important du service public de l’audiovisuel et un fort taux de diffusion de la presse écrite quotidienne. Contrairement à l’environnement médiatique nord-américain, qui est marqué par une segmentation et une polarisation des audiences, le contexte médiatique suédois se signale par la quasi-absence de chaînes de télévision ou de radio explicitement partisanes. Or, si le constat d’une perte d’influence des médias traditionnels semble bien se confirmer dans le cas particu- lier des États-Unis, c’est, finale- ment, de manière hâtive qu’il a été étendu à l’ensemble des démocra- ties occidentales. Le cas du média dominant La seule concession que font les auteurs à l’opinion commune concerne le cas d’un éventuel média dominant (incarné, dans le contexte de la presse écrite suédoise, par le journal Dagens Nyheter ) : celui-ci voit effective- ment son influence particulière s’éroder significativement avec l’élargissement du choix offert au public, comme si la diversité et la variété des sources d’infor- mation conduisaient à relativiser son importance et le préjugé de crédibilité dont il bénéficiait. En revanche, la multiplication des moyens d’information n’a pas entraîné le moindre fléchissement de l’influence des médias tradi- tionnels dans leur ensemble sur l’opinion publique suédoise.

Traditional media has maintained its role in setting the agenda conservé leur rôle moteur en termes d’« agenda- setting » Les médias traditionnels ont

sentative panel of Swedes on topical issues deemed important (economic crisis, unemploy- ment, taxation, education, envi- ronment) and, second, the num- ber of articles devoted to these issues in the five largest Swed- ish newspapers. They developed a method of analysis to assess the media appeal of topics cov- ered by traditional media. How- ever, when applying this method to Swedish daily newspapers, they found that despite tradi- tional media no longer having full control of coverage of events and the "noise" surrounding them, their combined use of tra- ditional and digital news outlets continues to make them major agenda-setters regarding issues they deem worthy of interest in the eyes of public opinion. Djerf-Pierre’ and Shehata’s study emphasises the particu- larities of the Swedish media ecosystem characterised by sig- nificant public audiovisual ser- vices and a high circulation of daily newspapers. Unlike the North American media ecosys- tem, which is marked by audi- ence segmentation and polari- sation, Swedish television and radio channels are not explic- itly partisan. Thus, while a loss of influence of traditional media seems to be established in the United States, this observation cannot be extended to all West- ern democracies. The only concession that the authors make to common opin- ion concerns the case of Swe- den’s dominant newspaper Dagens Nyheter . This daily newspaper’s influence was sig- nificantly eroded by the widen- ing choices offered to the public, as if the diversity and variety of news outlets diminished its importance and credibility. But the proliferation of news media has ultimately not diminished the inf luence of traditional The case of a dominant media

l’hypothèse d’un affaiblisse- ment de la capacité des médias d’information traditionnels à influer sur les préoccupations des populations. Rôle moteur d’«agenda-setting» Dans une étude portant sur l’en- vironnement médiatique suédois sur une période de vingt-trois années (de 1992 à 2014), les cher- cheurs ont soumis à un traitement statistique deux catégories de données : d’une part, les résultats de sondages effectués régulière- ment auprès d’un panel repré- sentatif de la population suédoise concernant les problèmes d’actua- lité jugés les plus importants (crise économique, chômage, fiscalité, éducation, environnement) et, d’autre part, la quantité d’articles consacrés auxdits problèmes par cinq des journaux les plus tirés de Suède. Ce faisant, ils ont élaboré une méthode d’analyse qui permet d’évaluer la saillance médiatique des thèmes traités par les médias traditionnels. Or, en appliquant cette méthode au cas de la presse écrite quotidienne suédoise, ils sont parvenus à des conclusions qui remettent au moins partielle- ment en question l’opinion la plus répandue : si les médias tradition- nels ne sont plus maîtres de l’am- pleur de la couverture médiatique des événements et du «bruit » qui les entoure, ils ont conservé leur rôle moteur en termes d’«agenda-

AUTEURS Monika Djerf-Pierre est docteur en journalisme et communication de masse. Elle est professeur en journalisme, médias et communication à l’université de Göteborg. Elle s’intéresse à la question de l’influence des médias sur l’opinion publique. Adam Shehata est postdoctorant en journalisme et communication à l’université de Göteborg. Il étudie la manière dont les médias sont utilisés et leur influence. AUTHORS Monika Djerf-Pierre has a doctorate in journalism and mass communications. She is professor of journalism, media and communications at the University of Gothenburg. She focusses on the influence of media on public opinion. Adam Shehata is a postdoctoral fellow in journalism and communications at the University of Gothenburg. He studies the media and its influence. POUR ALLER PLUS LOIN / OF FURTHER INTEREST Toril Aalberg, James Curran (éds.), How Media Inform Democracy: A Comparative Approach , Routledge, 2012. Craig Calhoun, Communication as Social Science (and More) , International Journal of Communication, 2011. Daniel C. Hallin, Paolo Mancini, Comparing Media Systems: Three Models of Media and Politics , Cambridge University Press, 2004. Maxwell McCombs, Setting the Agenda: The Mass Media and Public Opinion , Polity Press, 2014. Dieter Mersch, Théorie des médias , traduit de l’allemand par S. Baumann, Ph. Farah et E. Alloa, Presses du réel, 2018. Yue Tan, David H. Weaver, Agenda-Setting E ects among the Media, the Public, and Congress, 1946-2004 , Journalism and Mass Communication Quarterly, 2007.

media on Swedish public opin- ion, according to their findings. Djerf-Pierre and Shehata’s study is the first of its kind conducted in Europe. It wouldn’t be sur- prising if similar work carried out in other European countries reaches similar conclusions in the coming years. Sources Monika Djerf-Pierre, Adam Shehata, Still an agenda setter : traditional news media and public opinion during the transition from

L’étude de M. Djerf-Pierre et A. Shehata est la première du genre menée en Europe. Il ne serait toutefois pas surprenant que, dans les années à venir, des travaux semblables, menés dans d’autres pays du Vieux Continent, parviennent à des conclusions similaires. Sources Monika Djerf-Pierre, Adam Shehata, Still an Agenda Setter: Traditional News Media and Public Opinion During the Transition From Low to High Choice Media environments , Journal of Communication, 2017 ➤ À LIRE AUSSI Face aux fake news, les Français plébiscitent la presse écrite et la radio. Médias : comment rétablir la confiance?

À RETENIR Une étude portant sur les médias suédois conclut à un résultat étonnant : si les médias traditionnels, comme on le sait, ont bel et bien perdu des parts de marché, ils continuent de déterminer, aux yeux de l’opinion publique, les principaux sujets qui, selon elle, doivent être tenus comme dignes d’intérêt. Ce sont toujours eux qui, en combinant désormais l’usage des anciens et des nouveaux vecteurs d’information, donnent aux thèmes d’actualité leur importance. Ce résultat met en évidence une di érence entre les contextes européen et américain. IN BRIEF A study of Swedish media concluded that although traditional media have lost market share, they continue to determine which issues are deemed worthy of interest in the eyes of public opinion. By combining the use of traditional and digital news media, they continue to act as agenda-setters for topical issues. The study’s results highlight the di erences between European and American contexts.

low to high choice media environments , Journal of Communication, 2017

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