Paris vous aime magazine (oct-dec 2023)

content moderation which ultimately undermined free speech. According to Whyte, the fact that Twitter is a private platform gives it every right to moderate content and exclude participants, even a President of the United States. Here, freedom of expression is constrained by property rights. Cancel culture therefore only becomes an issue of censor- ship only when it comes from the state regulating freedom of expression (with the exception of fraud, incitement to murder, etc.). But this freedom has at least two advantages. Should limits be set? First, it allows for the genu- ine critical debate necessary to achieve social and political pro- gress and to advance the scien- ti c knowledge and innovation essential for growth. Freedom of expression doesn’t eliminate mis- takes, bad ideas or the spread of false beliefs, but it does increase our knowledge and leads to the development of real ideas in society. Second, the author relies on the concept of “rational ignorance” of the citizen-voter. Democracy is not a system for deciding the best public policies, but, more modestly, for avoid- ing tyranny. Many democratic states, from Britain to the United States and France, have commit- ted atrocities abroad. Democ- racy makes it possible to avoid this kind of tyranny at home. By giving voters free access to

explosion des idées vraies, dans la société. Deuxièmement, l’auteur s’appuie sur le concept d’«ignorance ration- nelle» des électeurs citoyens. La démocratie n’est pas un système pour décider des meilleures poli- tiques publiques, mais, plus modes- tement, pour éviter la tyrannie. De nombreux États démocratiques, du Royaume-Uni aux États-Unis en passant par la France, ont en effet commis des atrocités à l’étranger. La démocratie permet d’éviter ce genre de tyrannie sur le sol natio- nal. La liberté d’expression, en lais- sant le libre accès des électeurs à l’information, constitue précisé- ment un instrument de limitation de ce type de tyrannie. Mais ne faut-il tout de même pas poser des bornes à la liberté d’ex- pression ? Whyte insiste sur le fait que l’analyse standard «coût-avan- tage social » d’une interdiction d’expression doit être jugée à l’aune des deux critères évoqués ci-dessus. Une loi contre l’incita- tion au meurtre n’empêche pas la croissance de la connaissance ni n’accroît le risque de tyrannie : elle est justi ée. En outre, la loi doit être contextualisée (en fonction du temps, du lieu et de la manière) : le titre du lm Kill Bill ne pose pas problème en soi; en revanche, qu’un meneur de foule crie «Kill Bill ! » en menaçant un homme s’appelant Bill pose évidemment problème. Dans le deuxième cas, la restriction de la libre expression est donc légitime. Quid des idées fausses ? Il y a une différence entre des idées racistes ou «dangereuses » qui pourraient indirectement mener certaines personnes à commettre des crimes et l’incitation, directe, au meurtre. Les lois sur le hate speech (propos haineux), en se concentrant sur le discours et non sur ses effets et le contexte, s’éloignent ainsi, selon Whyte, des restrictions légitimes à la liberté d’expression. Certains argueront que «discours de haine» n’est pas «connaissance». Pourtant, une recherche de psychologie sur les transsexuels, par exemple, peut

La démocratie n’est pas un système pour décider des meilleures politiques

weren’t they “dangerous” then, and shouldn’t they have been banned? The drawbacks of a ban are clear to see here: what about misconceptions that could harm individuals (along the lines of legal scholar Cass Sunstein’s arguments), such as “Covid is a hoax”? The rst problem is that it is then up to the government to determine which consequences are harmful. The second prob- lem is that the government ends up deciding what is true or false. It seems naive to think that this kind of “regulation” will remain neutral, even if carried out by “independent bodies”. Finally, should “offensive” ideas be banned, especially on the Internet? The author shares his doubts. Firstly, one can simply avoid visiting websites or watch- ing videos that are known for their “offensive” ideas. Secondly, it is impossible to measure the degree of “offence”, and we can even expect a drastic increase in the number of people who are systematically “offended”. And again, banning offensive ideas prevents the discovery of truth and may even undermine accountability in certain cases (powers or policies justi ed by beliefs whose criticism could be speci cally deemed “offensive”). For Whyte, the road to regulat- ing speech (beyond incitement to murder and fraud) is a slip- pery slope, because there is no principle of regulation: “crimi- nalisation” is thus determined according to majorities and gov- ernments in power. ◆ Source Jamie Whyte, Why Free Speech Matters , IEA, 2021.

se voir taxer de «haineuse» et être interdite, alors qu’elle a sans doute une valeur scienti que. Les dérives concernant ce que la société inclut dans les « idées dangereuses » sont de ce fait faciles. Les idées de Darwin, au XIX e siècle, remettaient en cause le socle religieux et culturel de l’Occident : dès lors, n’étaient-elles pas «dangereuses » et n’aurait-il pas fallu les interdire ? Les désa- vantages de leur bannissement paraissent ici assez clairs. Quid des idées fausses qui pour- raient nuire aux individus (comme le soutient un Cass R. Sunstein) telles que «le Covid est un hoax» ? Le premier problème est que c’est alors au en place de déterminer quelles conséquences sont domma- geables. Mais deuxième problème : le pouvoir en place nit par déci- der le vrai et le faux. Même avec des «instances indépendantes», il faut faire preuve d’une grande naï- veté pour croire à la neutralité de ce genre de «régulation». Enfin, les idées « offensantes », dont les conséquences sont psy- chologiques, doivent-elles être interdites, et surtout sur le Net ? L’auteur en doute. D’abord, rien n’est plus simple que de ne pas aller sur des sites ou voir des vidéos de personnages connus pour leurs idées «offensantes» a n de les évi- ter. Ensuite, il n’est en réalité pas possible de mesurer le degré «d’of- fense» et on peut même anticiper une rapide contagion des «offen- sés » systématiques. Et interdire les idées offensantes empêche ici encore la découverte de la vérité et peut même réduire la reddition des comptes dans certains cas (des pouvoirs ou politiques justifiés par des croyances dont la critique serait précisément «offensante»). PourWhyte, la route de la régulation de l’expression (au-delà de l’incita- tion au meurtre et de la fraude) est une pente glissante, car il n’y a plus de principe limitant : la «criminali- sation» se fera au gré des majorités ou des pouvoirs en place. ◆ Source Jamie Whyte, Why Free Speech Matters, IEA, 2021.

information, freedom of speech limits this kind of tyranny. But shouldn’t we still set limits on free speech? Whyte stresses that the standard “social cost-bene t” analysis of a speech ban must be judged against the two crite- ria above. A law against incite- ment to murder doesn’t prevent the expansion of knowledge or increase the risk of tyranny: it’s justi ed. The law must also be contextualised in terms of time, place, and manner: the title of the lm Kill Bill is not in itself a prob- lem; on the other hand, a crowd leader shouting “Kill Bill!” threat- ening a man called Bill is obvi- ously problematic. In the second case, therefore, a restriction on free speech is legitimate. There is a difference between racist or “dangerous” ideas that could indirectly lead people to commit crimes or even directly incite them to murder. By focus- ing on speech rather than on its impact and context, Whyte argues that hate speech laws actually risk moving away from legitimate restrictions on free speech. Some will argue that “hate speech” is not “knowledge”. But research into transsexual psychology, for example, could be accused of being “hateful” and potentially banned, despite the fact that such research projects may have real scienti c value. Abusive interpretations of what society considers “dangerous ideas” can therefore easily occur. Darwin’s ideas in 19th century challenged the religious and cul- tural foundations of the West: What about misconceptions?

Democracy is not a system designed for choosing the best policies

AUTEURS Jamie Whyte est un intellectuel, trader, consultant et ancien homme politique néo-zélandais. AUTHORS Jamie Whyte is a New Zealand academic, trader, consultant and former politician. POUR ALLER PLUS LOIN/ OF FURTHER INTEREST Henri Lepage (dir.) , Libéralisme et liberté d'expression, Texquis, 2015. John Stuart Mill, De la liberté, C.L.F., 2021.

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