Paris vous aime magazine (oct-dec 2023)
L’Histoire romaine apparaît comme une suite de réactions souvent désespérées et inadéquates à des facteurs environnementaux
Les grandes civilisations ne succombent jamais à des menaces étrangères mais à un manque de confiance interne
dont la plupart échappaient à tout contrôle. Le livre se termine par l’appel à protéger « un monde glo- bal [...], où la revanche de la nature commence à se faire sentir, mal- gré des illusions persistantes de contrôle » . Que le lecteur ne se méprenne pas : The Fate of Rome est un excellent livre, et la tentative de croiser les résultats de la science encore relativement nouvelle de l’histoire climatique et épidémio- logique avec les sources anciennes et l’archéologie doit être considé- rée comme pionnière. Néanmoins, dans sa perspective trop holis- tique, il traduit ce qu’on pourrait appeler un certain « réduction- nisme climatique et épidémiolo- gique », qui semble sous-estimer non seulement la résilience psy- chique et créatrice de l’individu, mais aussi celle des grandes civi- lisations. L’homme peut être vic- time de la nature, certes, mais, après tout, il reste le seul acteur de sa propre vie et décide comment affronter le monde qui l’entoure : l’Histoire nous apprend que les épidémies peuvent générer non seulement la morosité, mais aussi la créativité, les changements cli- matiques non seulement le repli, mais aussi l’expansion, les catas- trophes non seulement l’aban- don, mais aussi la résilience, la menace non seulement la dislo- cation, mais aussi la reprise de contrôle. L’énergie de construire, de maintenir et de défendre une société envers et contre tout ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur : à quelques exceptions près, les grandes civilisations ne succombent jamais à des menaces étrangères mais à un manque de con ance interne. Nous ferions bien de nous en souvenir. ◆ L’homme reste le seul acteur de sa propre vie
new science of climatic and epide- miological history with ancient sources and archaeology must be regarded as pioneering. Never- theless, in its overly holistic per- spective, it re ects what might be called a certain “climatic and epidemiological reductionism”, which seems to underestimate not only the psychological and crea- tive resilience of individuals, but also that of great civilisations. Humans may be victims of nature, but they continue to make their own choices about how to deal with the world around them: His- tory teaches us that epidemics can generate not only darkness but also creativity, that climate change can generate not only retreat but also expansion, that disasters can generate not only abandonment but also resilience, and that threats can generate not only dislocation but also the reas- sertion of control. The energy to build, sustain and defend a soci- ety against all odds comes not from without, but from within: with few exceptions, the great civilisations never succumb to external threats but to a lack of internal con dence. We would do well to remember that. ◆ Source Kyle Harper, The Fate of Rome: Climate, Disease, and the End of an Empire , Princeton University Press, 2017.
destin de Rome fut le fait d’em- pereurs et de barbares, de séna- teurs et de généraux, de soldats et d’esclaves. Mais il fut tout autant décidé par les bactéries et les virus, les volcans et les cycles solaires. » En conséquence, l’histoire de l’empire semble essentiellement conditionnée par les facteurs environnementaux : les conditions favorables de l’holocène explique- raient l’âge d’or entre la n de la République et l’Antiquité tardive ; la première « mondialisation » de la Méditerranée par la romanisa- tion aurait permis la propagation rapide de maladies contagieuses (peste antonine de 165, peste de Cyprien en 249-262 et nalement peste justinienne en 541-543) ; le déclin démographique qui en a résulté aurait provoqué l’affai- blissement de l’armée, la bureau- cratisation à outrance, la perte de con ance dans les anciennes croyances et la montée en puis- sance du christianisme, ame- nant une profonde division de la société. Ensuite, l’impact clima- tique d’événements naturels tels que les éruptions volcaniques (dans les années 530 et 540) ou les cycles solaires aurait nalement achevé un empire déjà vacillant. Ainsi, l’Histoire romaine apparaît comme une suite de réactions sou- vent désespérées et inadéquates – remaniements bureaucratiques, usurpations, contrôle des prix des denrées, réformes religieuses – à des facteurs environnementaux
importance – the fall of the Roman Empire ” (pages 347 to 396 of Demandt's work show that this approach dates back at least to the 19th century), The Fate of Rome is by far the most recent and consequen- tial study of this school of thought. Harper offers a parallel reading of the political development of the Roman Empire and that of its natu- ral history, based on the following conviction: “ The destiny of Rome was the work of emperors and bar- barians, senators and generals, sol- diers and slaves. But it was also determined by bacteria and viruses, volcan s and solar cycles ”. The his- tory of the Empire therefore seems to have been essentially deter- mined by environmental factors: the favourable conditions of the Holocene would explain the golden age between the end of the Repub- lic and Late Antiquity; the rst “glo- balisation” of theMediterranean by Romanisation would have allowed the rapid spread of infectious dis- eases (the Antonine plague of 165, the Cyprian plague of 249-262 and the Justinian plague of 541-543); the resulting demographic decline would have led to the weakening of the army, excessive bureaucra- tisation, the loss of con dence in ancient belief systems and the rise of Christianity, leading to a deep division of society. Finally, the cli- matic effects of natural events such as volcanic eruptions (in the 530s and 540s) and solar cycles would have brought an already faltering empire to its knees. Roman his- tory thus appears as a series of often desperate and inadequate responses – bureaucratic reshuf- es, usurpations, food price con- trols, religious reforms – to envi- ronmental factors that were largely beyond their control. The book ends with a call to protect “ a global world [...] in which nature's revenge is beginning to be felt, despite persis- tent illusions of control ”. Humans have agency over their lives The Fate of Rome is an excellent book, and its attempt to reconcile the results of the still relatively
Great civilisations never succumb to threats but to lack of internal confidence
Roman history is series of desperate and inept reactions to natural factors
POUR ALLER PLUS LOIN/ OF FURTHER INTEREST P. Brown, The World of Late Antiquity: 150-750 AD , W. W. Norton & Co., 1989. A. Demandt, Der Fall Roms. Die Au ösung des römischen Reiches im Urteil der Nachwelt , C.H. Beck, 2015. E. Demougeot, La Formation de l’Europe et les invasions barbares , 3 volumes, Aubier, 1979. B. Ward-Perkins, The Fall of Rome and the End of Civilization , Oxford University Press, 2016. H.-I. Marrou, Décadence romaine ou Antiquité tardive? , Seuil, 1977.
AUTEUR Kyle Harper est diplômé de l’université Harvard et actuellement professeur de lettres classiques à l’université d’Oklahoma. Auteur d’ouvrages sur l’esclavage entre 275 et 425 ( Slavery in the Late Roman World , Cambridge University Press, 2011) et sur la transformation de la moralité sexuelle par le christianisme ( From Shame to Sin , Harvard University Press, 2013), il est un spécialiste de l’Antiquité classique. AUTHORS Kyle Harper is a graduate of Harvard University and currently Professor of Classics and Letters at the University of Oklahoma. He is the author of books on slavery between 275 and 425 ( Slavery in the Late Roman World , Cambridge University Press, 2011) and on Christianity's transformation of sexual morality ( From Shame to Sin , Harvard University Press, 2013).
* Professeur d’histoire romaine au sein de l’Université libre de Bruxelles.
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Source Kyle Harper, The Fate of Rome: Climate, Disease, and the End of an Empire , Princeton University Press, 2017.
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