Paris vous aime magazine Juillet-Août-Septembre 2024

PLUS QU’UNE RELIGION, le judo fut d’abord une chapelle, où une poignée d’apôtres enseignaient des préceptes inattendus. Que l’audace des plus faibles était susceptible, par exemple, de surclasser l’aveugle ment des plus forts. Que, face à l’or gueil, l’intelligence avait toutes les chances de s’imposer. Et qu’au bout du compte, un esprit particulièrement fin était tout à fait capable de passer cul par-dessus tête un corps exagéré ment brutal. Ces convictions, l’oracle suprême de ce sport, Jigorō Kanō (1860-1938), les édicta en conscience le jour où il « découvrit qu’avec un peu de malice, une faiblesse pouvait devenir une aubaine, une déficience un atout […], que varier la position des mains pouvait troubler un adversaire et un déplacement des pieds provoquer un déséquilibre 1 ». Férus de philosophie zen, passionnés de bushido – le code moral des samou raïs –, les Japonais ne pouvaient plé bisciter une gestuelle plus conforme à leurs idéaux. Sauf qu’à mesure qu’ils essaimèrent leur philosophie en dehors de leurs frontières, ils prirent le risque de voir la logique reprendre le dessus, le pragmatisme ses habitudes et les puissants leurs droits. Si Teddy Riner est tenu – à juste titre – pour un athlète d’exception, s’il domine à ce point la plupart de ses adversaires, et s’il est à nouveau consi déré comme le favori de la catégorie reine des Jeux olympiques (celle des plus de 100 kg), il illustre aussi, et jusqu’à la caricature, les bouleverse ments d’un sport dont les contours ont été passablement modifiés en l’espace de quelques générations seulement. Pour les judokas modernes, l’allégo rie originelle du roseau qui, face à la tempête, jamais ne se rompt et de la branche qui toujours se brise s’est, en partie, vidée de son sens. Atteindre la « voie de la sagesse » (la traduction

MORE THAN A RELIGION, judo was first and foremost a chapel, where a handful of followers taught unex pected precepts. That the audacity of the weakest, for example, could over come the blindness of the strongest. That intelligence had every chance of prevailing over pride, and that a particularly fine mind was perfectly capable of overpowering an overtly brutal body. Jigorō Kanō (1860-1938), the sport’s supreme oracle, espoused those beliefs as a matter of conscience on the day he discovered that “with a little mischief a weakness could become a blessing, a shortcoming an asset [...] and that a change in the position of the hands could confuse an opponent and a movement of the feet could create an imbalance 1 ”. Fascinated by Zen philosophy and bushido – the moral code of the samu rai – the Japanese could not have chosen a gesture more befitting their ideals. However, in the dissemination of their philosophy beyond their bor ders and its underlying culture, it ran the risk of succumbing to logic, prag matism and sheer physical force. Teddy Riner is an exceptional ath lete who dominates his opponents to such an extent that he is once again favoured to win the heavyweight (over 100 kg) competition at the forth coming Olympics. He also exempli fies the notable evolutions that have occurred in a sport whose parameters have significantly evolved over the last few generations. For contempo rary judokas, the traditional allegory of the reed bending in the wind being stronger than the oak branch breaking in a storm has lost some of its deeper meaning. Reaching the “path of wis dom” (the literal translation of ju-do ) remains the goal, but the priorities for getting there have clearly shifted. Riner is also a phenomenon in his field. Standing at 6’7” (2.04 m) and

littérale de ju-do ) est certes toujours le but, mais les priorités pour y parvenir se sont, de toute évidence, adaptées. Il n’est que d’observer les contours du phénomène qui nous occupe pour s’en persuader. Avec ses 2,04 m sous la toise et ses 140 kg sur la bascule, ses 51 cm de tour de bras et ses 1,20 m de tour de poitrine, ses 2,12 m d’envergure et ses 49,5 de pointure, Teddy Riner en impose. Avec d’autant plus de conviction que sa complexion hors norme est elle-même associée à des facultés de déplacement sidérantes. Le judo moderne a beau être respec tueux de son histoire et de ses dogmes, lui aussi, comme l’essentiel des sports spectacles pratiqués de par le monde, a, une fois pour toutes, rallié le camp fortifié de la surenchère. La faute aux Jeux olympiques, serait-on tenté d’écrire. Et à Jigorō Kanō, encore lui. Fier de sa trouvaille, l’initiateur suprême tombe parallè lement sous le charme des idées uto pistes du baron Pierre de Coubertin, son cadet de trois ans, maintes fois rencontré. Tous les deux rêvent de partage et de solidarité. Pourquoi ne pas participer de conserve à la renais sance des joutes antiques ? Les négo ciations sont laborieuses, intermi nables, mais, Tokyo accueillant enfin la quinzaine sacrée en 1964, le judo est intronisé sport de démonstration cette année-là. Une délicate atten tion, sauf qu’elle vire immédiatement au cauchemar. Supposé incarner l’excellence nip pone, le virevoltant Akio Kaminaga (handicapé de surcroît par une blessure) est balayé dans l’instant par le Néerlandais Anton Geesink, un colosse, un de plus. Un remède à la mesure s’impose. À compter de cette humiliation, les maîtres du budokan – le saint des saints de la reli gion judokate – encouragent la mon tée en graine d’un champion dont le

weighing in at 310 lbs (140 kg), his arms measure 20” (51 cm) around with an armspan of 6’9” (2.12 m). He wears a 15 (49.5) shoe. Riner’s exceptional physical attributes are complemented by his remarkable athleticism. While modern judo may retain its historical traditions and standards in principle, it has become increasingly influenced by the competitive spirit prevalent in most other global sports. Should we blame the Olympic Games or Jigorō Kanō, who fell under the spell of the utopian ideas of Baron Pierre de Coubertin, the founder of the modern Olympic Games, whom Kanō met several times? Both dreamt of solidarity and cultural sharing as they endeavoured to revive the ancient battling games. When Tokyo hosted the Olympic Games in 1964, judo was finally introduced as a demonstration sport. A great idea that quickly became a nightmare. Hampered by an injury, Akio Kaminaga, the epitome of Japanese excellence, was swept aside by another colossus, Dutchman Anton Geesink. In the wake of this humiliation, the masters of the Budokan – judo’s esteemed arena in Japan and its inner sanctum – sought to foster the emergence of a champion with a truly unique pedigree. Yasuhiro Yamashita, who seemed to have fallen from the sky, successfully took up the mantle as the world’s greatest judoka. Legend has it that the reason for his seemingly unyielding skeletal structure was that his father put fish bones in his baby bottle! Between 1977 and 1985, this new Hercules amassed a cascade of honours: an Olympic gold medal and 203 consecutive victories, 198 of which were by ippon (the equivalent of a knockout). However, the miracle seems to have ended with him. Though other musclemen followed, they were unable to ensure Japan’s long-term

1. Thierry Frémaux, Judoka , Stock, 2021, p. 50.

1. Thierry Frémaux, Judoka , Stock, 2021, p. 50.

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LE RÉCIT TEDDY RINER

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