Paris vous aime magazine Juillet-Août-Septembre 2024
LAURENT GAUDÉ Romancier, prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta après avoir reçu, deux ans plus tôt, le Goncourt des lycéens et le prix des Libraires pour La Mort du roi Tsongor , il est l’auteur de plus d’une trentaine de livres – romans, pièces de théâtre, recueils de nouvelles, poésie –, tous édités chez Actes Sud. Son dernier, Terrasses, ou notre long baiser si longtemps retardé (id.), a paru en avril 2024. Winner of the Prix Goncourt in 2004 for Le Soleil des Scorta , the Goncourt des Lycéens and the Prix des Libraires for La Mort du roi Tsongor , Laurent Gaudé has written more than 30 books, including novels, plays, short story collections, and poetry published by Actes Sud. His latest book, Terrasses, ou notre long baiser si longtemps retardé , was published in April 2024.
pas effacer cette réalité : la question a été posée au nom d’une vieille idée du sacré. On sait aussi que, dans le champ de la politique intérieure, on a essayé de poser la belle notion de « pacte olympique social ». Là aussi, il a vite volé en éclat. Poser ses revendications juste avant les Jeux, c’est s’assurer d’avoir toute l’attention de l’État. Comment résister à une telle opportunité ? L’approche de l’événement devient le temps idéal de la négociation. Au fond, les Jeux provoquent aujourd’hui l’exact inverse de la trêve : une intensification de l’ac tivité, des négociations et des luttes. Depuis ceux de Munich en 1972, nous savons que le terrorisme inter national regarde avec attention ces grands rassemble ments sportifs parce qu’il y voit l’occasion d’une caisse de résonance spectaculaire pour ses revendications. Alors, non, décidément, il n’y a pas de trêve. Plutôt un appétit sans cesse aiguisé. Notre monde sait-il ralentir ? En est-il encore capable ? Il y a, en creux, dans la notion de trêve, l’idée de jachère. Se mettre en pause. Accepter de cesser d’être ce que l’on est pour un temps. Or, pendant les deux derniers siècles, notre humanité n’a pas cessé d’accélérer, de tout emplir de son bruit, de son activité, de sa production. Comment pourrait-elle encore avoir la moindre capacité à faire une trêve ? On ne cesse de s’y référer, pourtant. Pourquoi ? Est-ce un vœu pieux ? Une façon de se mentir à soi même ? Ou une manière de souligner l’importance que nous continuons à accorder à la concorde, non pas comme réalité mais comme boussole, une utopie cru ciale ? Nous avons besoin de nous inscrire dans l’héri tage grec, malgré tout, parce que cette idée d’un socle commun dans l’humanité est essentielle. Et peut-être y aura-t-il bien quelque chose d’une trêve lorsque les Jeux commenceront. Non pas d’un point de vue géo politique. Mais pour les individus que nous sommes. Car au-delà des records, des médailles obtenues ou des échecs, les Jeux célèbrent la vie. La force de l’instant. La puissance de la volonté. La beauté de l’effort, du sur passement et du don, tout simplement. Peut-être, alors, la trêve doit-elle être portée par chacun d’entre nous, individuellement, puisque le monde ne sait plus le faire. Décider de se mettre en retrait de l’activité frénétique habituelle. Consacrer un peu de son temps au spectacle de ces athlètes qui se sont entraînés pendant des mois, des années, et qui vont tout jouer sur l’instant. À Olympie, la semaine sacrée des Jeux s’achevait par de grands banquets. La trêve était là aussi. Dans ce geste simple de s’asseoir autour d’une table com mune pour manger et boire, pour discuter, chanter,
se raconter les exploits de la veille et se défier, déjà, en pensant aux rendez-vous futurs. Et lorsque le voyageur originaire de Rhodes ou des montagnes d’Épire retournait chez lui, c’était chargé de toutes ces histoires, de tous ces souvenirs. Et il savait bien, lui, que la trêve, au fond, est aussi riche que l’activité. Parce que c’est elle qui offre à nos vies des rencontres, des surprises, des moments d’espoir et d’admiration et, surtout, des récits.
Games ensures that you will have the full attention of the state. How could anyone resist such an opportu nity? The approaching event becomes the ideal time for negotiations. In fact, the Games are now causing the exact opposite of a truce: an intensification of eco nomic activities, negotiations, and struggles. We have known since the Munich Games in 1972 that interna tional terrorists pay close attention to major sporting events as an opportunity to create a spectacular plat form for their demands. There is no truce. Does our world know how to slow down? Are we capable of doing so? The idea of a truce implies a period of rest, a pause. Agreeing to stop being what we are for a certain moment. In the past two centu ries, humanity has never stopped accelerating, filling everything with its noise, activity, and production. How could we sustain the capacity to even call for a truce? So why do we keep talking about it, is it just wishful thinking or a way of fooling ourselves? Or does it serve to underscore the importance we continue to attach to harmony, not as a reality, but as a compass, a crucial utopia? Despite everything, we feel the need to connect with the Greek heritage, because this idea of a common foundation for humanity is essential. Maybe there will be some kind of truce when the Games begin. Not from a geopolitical perspective, but for the individuals that we are. Because beyond the records, the medals won, and the disappointments, the Olympic Games are a celebration of life; the power of the moment and of the will. The beauty of effort, of surpassing yourself and, quite simply, of giving. So perhaps the truce should be borne by each of us individually, because the world collectively no longer knows how. Can we take a break from the usual fre netic activity? Devote just a little time to the spectacle of athletes who have trained for months and years, who will give everything in that moment? In Olympia the sacred week of the Games ended with great banquets. There too, the truce was present. By the simple gesture of sitting around a common table eating and drinking, chatting, singing, recoun ting the achievements of the day and challenging each other, already thinking of future meetings. And when the traveller returned home from Rhodes or the mountains of Epirus, he was full of stories and memo ries with the understanding that, in the end, a truce is just as enriching as periods of activity. Because a truce allows encounters, surprises, moments of hope and admiration and, above all, stories to enter our lives.
146
PARIS VOUS AIME MAGAZINE & LÉGENDE
Made with FlippingBook Annual report maker