Paris vous aime Magazine Juillet-Août-Septembre 2022
apocalyptique des artistes sur la baisse de leurs revenus ? À y regarder de plus près, il apparaît que les artistes installés, ceux qui gagnaient beaucoup d’argent dans l’ancien système, ont bien souffert du piratage de fichiers et peinent à reconstituer des revenus dans le système de streaming actuel. Dans le même temps, les prix des places de spectacle se sont envolés, com- pensant une partie de la perte. Le streaming profite en réalité aux nouveaux entrants : de nombreux artistes touchent désormais un revenu – certes limité – là où ils n’auraient rien eu dans l’ancien système. Rééquilibrage Ce cas emblématique devrait être le point de départ d’une réflexion sur la manière dont nous devrions comprendre les crises écono- miques dans toute industrie. Waldfogel rappelle à juste titre que le but de l’industrie culturelle n’est pas de créer des emplois ou d’enrichir les artistes, mais de permettre la création de biens culturels accessibles et de qua- lité. Et c’est bien ce qui se passe. Malgré la crise, les artistes créent et sont toujours prêts à mettre leur musique à la disposition du public alors que personne ne les y force : c’est donc un échange librement consenti qui est un jeu à somme positive du point de vue social. Le public a beaucoup plus gagné à l’ère numérique que les artistes installés, et on peut voir ce résul- tat comme un rééquilibrage de la balance du pouvoir. Les économistes découvrent à l’aide de savants calculs ce que le bon sens suffisait à prédire : la création artistique n’a pas les mêmes motivations que la fabri- cation d’un pot de yaourt. Les artistes « augmentent leur utilité » en créant, même sans promesse de rémunération. Dans un système où les chances de réussir dans la cour des grands sont offertes à beaucoup plus d’aspirants, il n’est pas surprenant de voir davantage de monde s’essayer à la création et des pépites musicales jusque-là
quality is better than in pre- vious decades (without reaching the level of the 1960s and 1970, the golden age of popular music). Above all, independent artists claim an ever-growing share of commercially successful artists (35% in 2010 compared with 14% in 2001 in the Billboard 200 ranking). We can therefore con- clude that the former cultural industries actually imperfectly selected the artists they decided to produce, and that their current economic difficulties haven’t affected production. What about artists' complaints and all the dire predictions of declining incomes? On closer inspection, it appears that estab- lished artists, who earned a lot of money under the old system, have suffered from piracy and are struggling to rebuild income lost in the current streaming system. At the same time, ticket prices for live performances have soared, making up for part of that loss. And streaming actually benefits newcomers: Many artists now earn an income, albeit a limited one, that they would not have earned under the former system. Rebalancing These conclusions should be the starting point for the way we understand economic crises in any industry. Waldfogel rightly points out that the cultural indus- try’s goal is not to create jobs or enrich artists, but to allow the creation of accessible, quality cul- tural goods. Despite the crisis, artists are creating and they are ready to make their music availa- ble to the public when no one forces them to do so. It is therefore a voluntary exchange that, from a social viewpoint, is a positive-sum game. Listeners have benefited much more from digital technol- ogy than established artists have, which can be seen as a rebalanc- ing of power. With the help of complex calcula- tions, economists have discovered what common sense would have predicted: Artistic creation
doesn’t have the same motivations as, say, producing a container of yogurt. Artists “increase their usefulness” by creating, even without the promise of compensa- tion. As this system offers greater opportunity to succeed in the big leagues, more people are trying their hand at being creative and crafting musical gems. This last point might escape us at first glance as, contrary to the so-called long tail theory, a third of the musical production repre- sented 99.5% of sales in 2011. But, on closer inspection, the composi- tion of this upper-third has pro- foundly changed to make room for artists who most likely would have been excluded from the mar- ket by record companies. Lobbying The digital revolution has also facilitated the global circulation of cultural products. The author comes to some interesting conclu- sions here: Artists in each coun- try saw their national market share decline after 2005 to the benefit of foreign artists, but could also now earn more on for- eign markets than the losses they incurred on their national mar- ket. Consumption habits tend to standardise, but this standardisa- tion has come at the expense of the United States and other large countries, the real winners being small countries, particularly Scandinavia. Finally, although Waldfogel doesn’t call intellectual property into question, he emphasises the bad faith and intense lobbying conducted by an industry pres- suring governments to grant them privileges that are paid for with public funds, while refusing to clearly communicate the data we should analyse carefully prior to agreeing on costly solutions to often-nonexistent problems.
mais cette uniformisation s’est faite au détriment des États-Unis et d’autres grands pays, les vrais gagnants étant les petits pays, notamment scandinaves. Pour finir, si Waldfogel ne remet pas en question la propriété intellectuelle, il souligne la mau- vaise foi et l’intensité du lobbying exercé par une industrie qui tient aux gouvernements un discours larmoyant pour obtenir des pri- vilèges payés par l’argent public, tout en refusant de communiquer clairement des données qu’il fau- drait étudier soigneusement avant de se lancer dans des solutions coûteuses à des problèmes qui, souvent, n’existent pas. Source
C’est donc un échange librement consenti qui est un jeu à somme positive du point de vue social
It is a voluntary exchange that, from a social point ofview, is a positive-sum game
Joel Waldfogel, Digital Renaissance : What Data
and Economics Tell Us about the Future of Popular Culture, Princeton University Press, 2019
AUTEUR Joel Waldfogel est économiste et titulaire d’une chaire à l’université du Minnesota. Spécialisé dans l’analyse économique des industries culturelles, il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles universitaires. Il est également membre du Conseil national de recherche sur le droit d’auteur à l’ère numérique, un organe de réflexion pour les politiques publiques américaines.. Author Joel Waldfogel is an economist and professor at the University of Minnesota specialised in the economic analysis of cultural industries. He is the author of many books and scholarly articles, and is a member of the National Research Council on Copyright in the Digital Age, an American public policy think tank. POUR ALLER PLUS LOIN/Of further interest Luis Aguiar, Joel Waldfogel, Netflix : global hegemon or facilitator of frictionless digital trade ?, Journal of Cultural Economics , 2017 Stephan Kinsella, Against intellectual property, Mises Institute, 2008 Rafael Rob, Joel Waldfogel, Piracy on the high C’s, National Bureau of Economic Research, 2004 Pierre Schweitzer, L’analyse économique de l’industrie de la musique et les conséquences du numérique sur la création et le transfert de valeur, in Patricia Signorile (éd.), Droit, musique et numérique, Presses universitaires d’Aix- Marseille, 2018 David Throsby, Economics and Culture, Cambridge University Press , 2000
invisibles émerger de la masse des amateurs. Ce dernier point pour- rait nous échapper à première vue car, contrairement à la théorie dite de la longue traîne, un tiers de la production musicale attirait encore 99,5 % des ventes en 2011 ! Mais, à y regarder de plus près, la composition de ce tiers supérieur a profondément changé pour faire une large place à ceux qui étaient exclus du marché par les maisons de disques. Lobbbying La révolution numérique a par ail- leurs facilité la circulation inter- nationale des produits culturels. L’auteur parvient ici à des conclu- sions intéressantes : les artistes de chaque pays ont vu leur part du marché national diminuer après 2005 au profit d’artistes étrangers, mais ils peuvent gagner plus sur les marchés étrangers qu’ils ne perdent sur leur marché natio- nal ; les habitudes de consomma- tion ont tendance à s’uniformiser,
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Source Joel Waldfogel, Digital Renaissance : What Data
and Economics Tell Us about the Future of Popular Culture, Princeton University Press , 2019
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