PWW34

nelles. C’est le cas de Mamou- dou Gassama : le 26 mai 2018, le jeune homme n’a pas hésité à escalader un immeuble à mains nues pour sauver la vie d’un enfant suspendu à un balcon. Depuis ce jour, sa vie a basculé : la vidéo de son exploit, devenue virale, a été visionnée des millions de fois. Surnommé « Spider-Mams » par les internautes, il confiait au Parisien  : « Je n’ai pas pensé aux étages. Je n’ai pas pensé au risque ». Pour David Le Breton, ce qui ajoute à la valeur d’un tel acte, c’est qu’il nous renvoie à notre propre finitude. « Cela nous fait réaliser combien notre vie est fragile, précaire. Nous prenons conscience qu’il y a des gens qui savent défier leur vulnérabilité de façon désintéressée. » Les médias jouent un rôle essen- tiel dans le processus d’héroïsa- tion. Pour Jean-Marie Charon, sociologue, la notion de héros correspond davantage à la culture médiatique nord-américaine, qui s’est peu à peu exportée vers l’Hexagone. « Nos médias ont repris un mode de traitement et une terminologie américaine dans la manière de valoriser les héros. Cela me paraît aller dans un mouvement social plus large de montée de l’individu, avec une forme de recul des expressions collectives. Plutôt que de se réfé- rer à de grands acteurs sociaux, on a tendance à se concentrer sur l’héroïsme individuel », dé- crypte-t-il. Un phénomène qui s’est intensifié avec la montée en puissance des chaînes d’infor- mations en continu : un format qui laisse souvent peu de place à l’analyse. « Contrairement à la presse écrite, adaptée à l’analy- tique et à la mise en perspective, ces chaînes jouent sur l’identifica- tion de personnes pour symboliser des sujets, des objectifs, des va- leurs. C’est là que le phénomène d’héroïsation peut intervenir », explique le sociologue. LE RÔLE DES MÉDIAS ET DES INSTITUTIONS

Mais les institutions jouent elles aussi un rôle dans l’écriture du « roman national ». Ainsi, après son intervention, Mamoudou Gas- sama a intégré les sapeurs-pom- piers de Paris et il a été naturalisé par le Président Macron, qui lui a également remis la Légion d’hon- neur. Un acte symboliquement fort. Créée par Napoléon, cette récompense, à l’origine réservée aux militaires, est décernée plus largement aujourd’hui aux bien- faiteurs de la nation. Or, le choix des héros nationaux en dit long sur notre société. Pour Chris- tian Amalvi, auteur des Héros de l’Histoire de France (Privat), il s’agit de quelqu’un qui a réussi à retourner une situation qui pa- raissait désespérée. « Jean Moulin, par exemple, par son sacrifice, a unifié la Résistance française, ex- plique l’historien. Les Lumières ont valorisé les grands hommes. Ensuite, le romantisme républi- cain a érigé le peuple, le collectif, en figure de proue. Puis, sous la III e  République, le héros national a tenu un rôle d’exemplarité

process of ‘heroisation’ occurs,” explains Charon. But institutions also play a role in narrating a “national story.” Fol- lowing his heroic act, Gassama was granted French citizenship, invited to join the Paris firefight- ers, and awarded the Legion of Honour by President Macron. This prestigious award, created by Napoleon as an acknowledge- ment of military accomplishment, is now awarded to benefactors of the nation. Our choice of nation- al heroes speaks volumes about our society. Christian Amalvi, a historian and the author of Héros de l’Histoire de France (“Heroes of the History of France,” Editions Privat) believes a hero is someone who has succeeded in turning around a seemingly hopeless situation. “Jean Moulin, for ex- ample, unified the French Resist- ance through sacrificing his own life. The Age of Enlightenment valued ‘great men.’ It was the ro- manticism of the French Repub- licans that made the people, the collective, into a figurehead. ▲

HÉROS OU MYTHOMANES ? HEROES ORMYTHOMANIACS?

Glorifiés, médaillés, admirés : qui ne rêve pas d’accéder à un tel statut? Certains ont tout fait pour l’obtenir. Quitte à mentir : des hommes se sont ainsi inventés héros du Débarquement de Normandie, en 1944. Les associations de vétérans et des historiens ont conjugué leurs efforts pour les démasquer. L’Américain George Klein, par exemple, se présentait comme un vétéran des combats de la pointe du Hoc, près de Bayeux. Eugene A. Cook Jr, américain lui-aussi, s’est approprié une histoire plus héroïque que la sienne : celle de son homonyme, Eugene N. Cook, auteur d’un spectaculaire saut en parachute nocturne. L’Américain Howard Manoian a même reçu la Légion d’honneur en 2009. Célébré pour sa participation à la Libération, il était en fait membre d’une unité moins prestigieuse. Glorified, decorated, admired... many dream of hero status and some have gone to great lengths to obtain it – even lying. Would-be heroes have been known to insert themselves in the 1994 D-Day landings after the fact. Veterans and historians join forces to unmask imposters. American George Klein, for example, presented himself as a veteran of the fight at Pointe du Hoc, near Bayeux. Eugene A. Cook Jr. appropriated the heroic story of his namesake, Eugene N. Cook, who made a spectacular parachute jump in the dead of night. Howard Manoian received the Legion of Honour in 2009 for his alleged participation in the Liberation, but was later identified as a member of a different group.

77 - PARIS WORLDWIDE NOVEMBRE / DÉCEMBRE NOVEMBER / DECEMBER

2019

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online