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C ollines verdoyantes et falaises à pic, lac bucolique et ruisseaux chantants, arbres des cinq continents, grotte ornée de stalactites et, pour couronner le tout, un temple romain perché sur son île, comme suspendu aux nuages. Chaque jour, en arrivant sur son lieu de tra- vail, Davy-Lloyd’s se dit qu’il a décidément un bien joli bureau. Être jardinier aux Buttes-Chaumont, c’est avoir sous les yeux une carte postale du monde entier. Lorsqu’en plus le soleil brille, que les eurs et les oiseaux sont de retour, le parc du 19 e arrondissement de Paris prend l’allure d’un petit paradis. Cette sensation de dépaysement, c’était le rêve de Napoléon III. Jusqu’en 1860, les Buttes-Chaumont appartiennent à la commune de Belleville. Leur nom, peu atteur, vient de la contraction de « chauve- mont », la colline pelée. Ce sont des carrières de meu- lière et de gypse, lequel est exporté aux États-Unis, d’où le surnom du quartier : «quartier d’Amérique». Ces carrières servent de décharge à ciel ouvert, de zone d’équarrissage et les brigands s’y donnent ren- dez-vous. Jusqu’au XVII e siècle, s’y dressait également un gibet, théâtre de nombreuses exécutions. En pleine réfection de la capitale, le baron Haussmann décide de dédier ces vallons au bien-être des Pari- siens en y créant un jardin à l’anglaise. Il s’entoure des ingénieurs Jean-Charles Adolphe Alphand et Eugène Belgrand, de l’architecte Gabriel Davioud, et du pay- sagiste Jean-Pierre Barillet-Deschamps. Véritable performance technologique et artistique, les travaux dureront trois ans. C’est le temps des expositions uni- verselles. Le voyage et l’éclectisme sont à l’honneur, dans l’art comme dans les jardins. Les Buttes-Chau- mont en seront imprégnées. Elles semblent sortir tout droit d’un tableau d’Hu- bert Robert, peintre et paysagiste qui a inspiré leurs créateurs. «La pente des collines est naturelle, il res- tait le relief des carrières. Mais le parc lui-même a été construit à coups de remblais et de maçonnerie, de fausses roches et de rusticage. Les concepteurs ont puisé leur inspiration dans les paysages de lacs alpins et des forêts vosgiennes, mais aussi de la plage d’Étretat, dont ils ont reconstitué les falaises blanches et l’aiguille de calcaire» , explique Jean-Christophe Lucas, conféren- cier à l’Agence d’écologie urbaine. En connaisseur, il décrit cette harmonie paysagère qui a traversé les époques: «Voyez la manière dont les belvédères ont été répartis sur le parc. L’alternance de fourrés épais et d’arbres isolés, d’essences exotiques et de bois indigènes, de zones d’ombre et de prairies enso- leillées. Ou la manière dont les chemins ont été dissi- mulés à la vue par les remblais.» Il désigne les rares Un écrin où se mêlent paysages de montagne et falaises normandes

Du haut de ses 22 mètres, le «pont des suicidés» relie la rive sud du lac à l’île du Belvédère. The 22-m- (72-ft) high "Suicide Bridge" links the lake’s south shore to Belvédère Island.

Perché sur son promontoir, le temple de la Sibylle s’inspire du temple de Vesta, à Tivoli, en Italie. Perched on a promontory, the Sibyl's Temple was inspired by the Temple of Vesta in Tivoli, Italy.

Ce pittoresque jardin compte 15000 arbres dont un marronnier d’Inde et des platanes de près de 160 ans. The park contains 15,000 trees, including nearly 160-year-old horse chestnuts and plane trees.

Mountain landscapes and Norman cliffs “The slopes are natural and the quarries’ contours were maintained. But the park itself was built with embankments andmasonry in a faux-rustic style. The designers drew their inspiration fromalpine lakes and forests in the Vosges, as well as from Étretat's famous rock formations for the reconstructed cliffs and lime- stone needle”, explains Jean-Christophe Lucas, a lec-

V erdant hills, sheer cliffs, gurgling streams, a placid lake, a cave com- plete with stalactites, a Roman temple perched onan islet as though suspended in the clouds... Every day, Davy-Lloyd’s, a Buttes-Chaumont gardener, tells himself how lucky he is. When the sun shines and the owers and birds return, this park, set in Paris’ 19 th arrondissement, is a miniature paradise. This sense of the changing seasons was exactly what Napoleon III intended. The Buttes-Chaumont – an un attering contraction of "bald hill" in French – was used as a quarry and belonged to the Bellevillemunic- ipality. The millstone and gypsum excavated here were exported to the United States and the holes used as a land ll. Until the 17 th century, it was also used for public hangings. In 1860, BaronHaussmann, with the help of engineers Jean-Charles Adolphe Alphand and Eugène Belgrand, architect Gabriel Davioud, and landscape designer Jean-Pierre Barillet-Deschamps, transformed these gorges into anEnglish-style garden. This technological and artistic feat, created in the can-do era of theWorld Exhibitions, took three years to complete. True to its times, the themes of travel and cosmopolitanism suf- fuse the Buttes-Chaumont’s structures and gardens.

séquoias, ormes, aulnes, savonniers, tulipiers, toonas, etc. Les plus vénérables de ces 15000 arbres? Un mar- ronnier d’Inde et des platanes de près de 160 ans. À l’ouverture, dès 7 heures, les agents du parc voient arriver les premiers habitués : promeneurs de chien, personnes âgées ou ornithologues amateurs. « Le matin est idéal pour observer la faune, explique Davy- Lloyd’s. Des oiseaux (martin-pêcheur, pic-vert, pic

turer at the Agency for Urban Ecology. “Observe how the belvederes were spread out across the park. The balance between dense thickets and isolated trees – both exotic and native species – shady areas and sunny meadows. And the

épeiche, héron, faucon créce- relle), mais aussi des héris- sons. » Une anecdote circule entre les jardiniers: dans les années 2000, un boa avait été récupéré par les pompiers. Mais l’animal que tous rêvent de surprendre, c’est le renard.

This Parisian paradise hosts a unique biodiversity

Ce petit paradis parisien abrite une biodiversité exceptionnelle

En été, lorsque le parc ne ferme pas, on peut l’obser- ver à l’aube. Son abri se trouverait dans les tunnels de l’ancienne voie de chemin de fer de la Petite Ceinture. C’est qu’autrefois, les trains passaient ici dans un panache de fumée. Contrairement à d’autres, cette por- tion de la Petite Ceinture n’a pas été ouverte au public. Elle est un des lieux cachés du parc, comme ces abris anti-bombardements qui occupent d’anciennes galeries des carrières. Ou cet étonnant escalier de 173 marches qui se dissimule à l’intérieur du rocher de l’île du

way the embankments hide the paths from view”. The park is shaded by 15,000 trees, including rare sequoias, elms, alders, red cedars, tulip trees, Chi- nese mahogany, the oldest being the nearly 160-year- old horse chestnut and plane trees. In winter, the rst regulars arrive when the park opens at 7 am: dog walkers, elderly regulars, joggers, bird watchers. “Mornings are ideal for seeing wildlife, including king shers, woodpeckers, herons, and kes- trels, as well as hedgehogs”, says Davy-Lloyd’s.

AVRIL - MAI - JUIN 2021

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