Paris vous aime magazine (oct-dec 2023)
L a chute de l’Empire romain a toujours été, du moins pour le monde occidental, le paradigme suprême de la mortalité de toute civilisa- tion. Et pourtant, les véritables raisons de sa disparition restent un mystère – non pas à cause d’un manque, mais plutôt d’une in a- tion d’explications. Ainsi, l’Alle- mand Alexander Demandt, dans sa magistrale étude sur la place qu’oc- cupe la n de Rome dans la pensée occidentale, a recensé pas moins de 227 raisons proposées par les cher- cheurs de ces derniers siècles a n d’expliquer l’impensable. Chaque époque a développé son propre modèle explicatif Quand on passe en revue les dif- férentes catégories d’explications – religieuses, socio-économiques, naturelles, institutionnelles, mor- phologiques, politiques –, on se rend vite compte que l’analyse de la chute de Rome n’a pas été une question « accidentelle » dans l’évolution de la pensée histo- rique occidentale, mais plutôt son véritable moteur. Dès lors, il n’est guère étonnant que chaque époque ait développé son propre modèle explicatif et, bien que chacun de ces modèles ait semblé dé nitif et novateur à ses contemporains, le recul historique a montré qu’il était aussi lacunaire, relatif et sub- jectif que tous les autres. Ainsi, le siècle des Lumières a insisté sur l’in uence pernicieuse du christia- nisme, le XIX e siècle sur la « déca- dence » des Romains, le XX e sur l’aspect socio-économique. Étant donné l’importance extrême accor- dée, depuis quelques années, au réchauffement climatique et aux pandémies facilitées par la mon- dialisation, il fallait bien s’attendre que, tôt ou tard, cette préoccupa- tion intègre la pensée sur la n de Rome. C’est ainsi que Kyle Harper nous confronte à l’hypothèse – pré- sentée comme une certitude – que, finalement, des facteurs clima- tiques et épidémiologiques ont été décisifs dans le déclin et la chute de l’Empire romain.
F or the Western world, the fall of the Roman Empire has always been the ulti- mate paradigm of the mortality of any civilisation. And yet the real reasons for its disappearance remain a mystery – not for lack of explanations, but because there are simply too many. The German historian Alexander Demandt, in his masterful study of the place occupied by the end of Rome in Western thought, listed no fewer than 227 reasons that scholars of recent centuries have come up with to explain the unthinkable. If we examine the various catego- ries of explanation – religious, socio-economic, natural, institu- tional, morphological, political – we quickly realise that the analy- sis of the fall of Rome was not an “accidental” question in the devel- opment of Western historical thought, but in fact its driving force. It is therefore not surprising that each period developed its own explanatory model, and that each of these models, while appearing de nitive and innovative to its contemporaries, was also, in retro- spect, incomplete, relative, and subjective. Thus the Enlighten- ment era emphasised the perni- cious in uence of Christianity; the 19th century delved on the “deca- denc” of the Romans; and the 20th century focused on socio- economic factors. Given the impor- tance attached in recent years to global warming and pandemics in our globalised world, it was to be expected that these concerns would eventually be incorporated into our explanations of the end of Rome. Kyle Harper confronts us with the hypothesis – presented as a certainty – that climatic and epi- demiological factors were ulti- mately decisive in the decline and fall of the Roman Empire. Leaving aside the historian Peter Garnsey's somewhat exaggerated claim on the back cover that this “book is the rst to place nature at the centre of a topic of great Each era has developed its own explanatory model
Pas moins de 227 raisons ont été avancées pour expliquer la disparition de l’Empire romain
Around 227 reasons have been listed to explain the fall of Roman Empire
COMMENT CLIMAT ONT CAUSÉ
ET
LA CHUTE DE ROME ÉPIDÉMIES
Mis à part l’assertion quelque peu exagérée de l’historien Peter Garnsey, qui proclame sur la qua- trième de couverture que « ce [...] livre place pour la première fois la nature au centre d’un sujet d’im- portance majeure – la chute de l’Empire romain » (les pages 347 à 396 de l’ouvrage de Demandt montrent que cette approche remonte au moins au XIX e siècle), force est de constater qu’effective- ment The Fate of Rome est, de loin, l’étude la plus récente et consé- quente de cette école de pensée. Ainsi, Harper propose une lecture parallèle de l’évolution politique de l’Empire romain et de celle de son histoire naturelle fondée sur la conviction suivante : « Le
On attribue communément la n de l’Empire romain à des facteurs politiques, économiques et religieux. Un professeur américain propose une thèse différente.
HOWCLIMATE AND EPIDEMICS CAUSED THE FALL OF ROME The end of the Roman Empire is often attributed to political, economic and religious factors. An American professor suggests a different theory.
En collaboration avec Phébé, la veille d’idées internationale par Le Point
David Engels*
Boris Séméniako
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