Paris vous aime magazine avril-mai-juin 2022

engagement émotionnel. Ainsi, lorsqu’on montre à des sujets un film comportant des images (assez confuses) d’un groupe de manifes- tants affrontant la police, les indi- vidus voient ces scènes comme favorables soit aux actions de la police soit à celles des manifes- tants, en fonction de l’explication donnée par les chercheurs. Quand les spectateurs croient que les manifestants sont là pour empê- cher des avortements d’être prati- qués, les sujets de gauche valident le comportement de la police, tan- dis que les sujets de droite valident celui des manifestants. Inversement, quand ils croient que les manifestants sont là pour s’opposer à l’interdiction pour les homosexuels d’intégrer l’armée, ceux de droite justifient les actions de la police et ceux de gauche, celles des manifestants. Stanovich décrit comment cette dynamique se répète dans toutes les expé- riences impliquant des théma- tiques sur lesquelles nos positions politiques, religieuses ou morales divergent.

due to the fact that peoples’ assessment and production of evi- dence, as well as the testing of hypotheses, are biased by their own prior beliefs, opinions, and attitudes. Perception gap One of the oldest demonstrations of this bias dates from the 1950s, when two researchers showed Princeton and Dartmouth stu- dents a film of an American foot- ball match, notorious for the number of fouls committed, between the two colleges. The experiment showed a signifi- cant discrepancy in perception between the sides, to the extent that the viewers seemed to have watched ent irely di f ferent matches. Stanovich explains how this self-confirmation bias is reinforced when the beliefs and worldviews with which we have an emotional commitment come into play. Thus, when viewers see a film containing (somewhat con- fused) images of a group of dem- onstrators confronting the

CE BIAIS COGNITIF

Il y a des avantages à adopter de fausses croyances si elles soutiennent la cause que l’on veut défendre

QUI NOUS DIVISE

Un nouvel ouvrage décrypte la façon dont le «biais d’autoconfirmation» est dangereux pour nos démocraties, parce qu’il rend tout débat impossible.

THE COGNITIVE BIAS THAT DIVIDES US A new book deciphers how “self-confirmation biases” threaten our democracies, as they render debate impossible.

There are advantages to adopting false

beliefs when they support the cause one seeks to defend

En collaboration avec Phébé, la veille d’idées internationale par Le Point

Leonardo Orlando, docteur en Sciences-Politiques

De prime abord, ce biais apparaît comme l’incarnation de l’irratio- nalité, mais l’auteur nous montre qu’il n’y a rien d’irrationnel dans le biais d’autoconfirmation. Bien au contraire, projeter notre vision du monde sur des faits, et éva- luer de nouvelles informations à l’aune de nos propres croyances, représente une stratégie

des faits et des vérités. À l’origine de ce fléau, un constat amplement prouvé de manière expérimentale : les individus peuvent voir le même stimulus et pourtant l’interpréter de manière différente en fonc- tion du «camp» dans lequel ils se retrouvent. Cette interprétation divergente est due au fait que l’évaluation et la production des preuves, ainsi que le test des hypothèses, se trouvent biaisées par leurs propres croyances, opinions et attitudes antérieures. Écart de perception L’une des démonstrations les plus anciennes de ce biais date des années 1950. Deux chercheurs montrèrent à des étudiants de Princeton et de Dartmouth le film d’un match de football américain, notoire pour le nombre de fautes commises (et la quantité d’os cas- sés), dans lequel s’affrontaient les équipes des deux universités. Le résultat de l’expérience fut un écart immense de perception entre les camps, au point que les spectateurs semblaient avoir assisté à des matchs différents. Stanovich explique comment ce même biais d’autoconfirmation se renforce quand interviennent les croyances et visions du monde envers lesquelles nous avons un

W hen two football clubs face off, their supporters perceive the match dif- ferently: they see possible fouls and the referees’ decisions differently depending on the side they root for. This is can be considered a paradig- matic case ofcognitive “my-side bias” – the search for and interpreta- tion of evidence in ways that tend to favour the hypothesis one wants to be true. This is not as trivial as it seems. According to Professor Keith E. Stanovich, self-confirmation biases are even amajor threat to our democracies. This is what he attempts to explain in his book The Bias That Divides Us: The Science and Politics of Myside Thinking , in which he synthesises decades of experimental research on rational- ity and its cognitive and evolution- ary aspects. Stanovich thus believes the danger we currently face doesn’t lie in the so-called “post-truth” of our times – the supposed inability we have of accepting and valuing facts and truth – but rather in our inability to converge on facts and truths. At the origin of this scourge, which has been amply proven experi- mentally: individuals may per- ceive the same stimulus and yet interpret it differently depending on which “side” they’re on. This divergent interpretation is

Q uand deux clubs de football s’af- frontent , ses supporteurs n’as- sistent pas au même match : ils voient les fautes éventuelles, ainsi que les déci- sions de l’arbitre, d’une manière différente en fonction du camp qu’ils soutiennent. C’est ce qu’on appelle un cas paradigmatique du biais cognitif «d’autoconfirmation» (myside bias) , soit la recherche et l’interprétation des preuves d’une manière qui tend à favoriser l’hy- pothèse que l’on veut être vraie. Cela n’est pas aussi anodin qu’il y paraît. Le biais d’autoconfirmation constitue même, selon le profes- seur Keith E. Stanovich, un péril majeur pour nos démocraties. C’est ce qu’il tente de nous faire com- prendre dans son ouvrage The Bias That Divides Us: The Science and Politics of Myside Thinking , dans lequel il synthétise des décennies de recherche expérimentale sur la rationalité et ses aspects cognitifs et évolutifs. Ainsi, pour Stanovich, le danger auquel nous faisons face actuelle- ment ne réside pas dans la préten- due «post-vérité» de notre époque, supposée incapacité que nous aurions à accepter ou à valoriser les faits et la vérité, mais plutôt dans notre incapacité à converger vers

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