Paris-vous-aime-magazine-Janvier-Février-Mars-2025

IDÉES

UN CONCEPT RÉVOLUTIONNAIRE Le premier restaurant moderne a ouvert ses portes à Paris, en 1765, rue des Poulies, l’actuelle rue du Louvre. Sur la devanture est gravée une phrase en latin, issue de la Bible : « Venite ad me omnes qui stomacho laboratis et ego vos res taurabo », c’est-à-dire « Venez à moi, ceux dont l’estomac souffre, et je vous restaurerai ». C’est de là qu’est venu le terme « restaurant ». Son propriétaire se nomme Mathurin Roze de Chantoiseau, même si des écrits évoquent un cer tain Boulanger. Quoi qu’il en soit, l’établissement vend des mets « restaurans » tels que la volaille, les œufs, les pâtes au beurre ou encore les gâteaux de semoule, dont on disait que la couleur claire possédait des vertus béné fiques pour la santé. Ce lieu est aussi l’un des premiers à connaître un certain succès culinaire grâce à sa « volaille sauce poulette », réputée dans le Tout-Paris. Diderot le mentionne d’ailleurs dès 1767, dans une lettre adressée à Sophie Volland :« Si j’ai pris du goût pour le restaurateur ? Vraiment oui ; un goût infini. On y sert bien, un peu chère ment, mais à l’heure que l’on veut. […] Cela est à merveille, et il me semble que tout le monde s’en loue ». L’écrivain Édouard Fournier relate également l’apparition de ce res taurant dans l’ouvrage Paris démoli , publié en 1853 : « Tout près de là, dans la rue des Poulies, s’ouvrit, en 1765, le pre mier restaurant, qui fut ensuite transféré à l’hôtel d’Aligre. C’était un établissement de bouillons, où il n’était pas per mis de servir de ragoût, comme chez les traiteurs, mais où l’on donnait des volailles au gros sel, des œufs frais et cela sans nappe, sur de petites tables de marbre ». Dans ces années qui précèdent la Révolution française, Mathurin Roze de Chantoiseau est le premier à proposer le concept novateur qui consiste en un service sans horaire fixe, sur une table individuelle, et à offrir un choix de plats dont le prix est indiqué à l’avance, devant le restaurant. À cette époque, en France, le seul endroit où l’on peut man ger en dehors de chez soi est la taverne ou l’auberge. Or, ces lieux ne proposent que des tables d’hôtes avec un plat unique, au prix non connu à l’avance, dans lesquels on ne vient qu’à heure fixe. De plus, la qualité n’est pas tou jours au rendez-vous. Les personnes ne viennent ici que pour s’alimenter et non pour apprécier la saveur d’un plat. Quant aux rôtisseurs et aux traiteurs de l’époque, leur offre est limitée : ils ne peuvent vendre que des pièces entières et non des portions individuelles. La nouvelle façon de se nourrir proposée par Mathurin Roze de Chantoiseau, connaît un très grand succès, et le concept de restaurant va se répandre tout en évoluant. La notion de plaisir gustatif va devenir prépondérante et la gastronomie va se développer, voire, dans une certaine mesure, se démocratiser. Jusqu’alors, les seules personnes qui mangeaient très bien en France étaient les membres de la cour à Versailles ou les nobles, qui disposaient de leurs cuisiniers personnels. À la veille de la Révolution française, sur la centaine de res taurants que compte la capitale, de nombreuses enseignes L’ÉVOLUTION DE LA RESTAURATION ET L’APPARITION DU MENU

sont fort renommées. Les clients ne s’y rendent plus pour manger des plats reconstituants, mais pour déguster des mets qui charment leurs papilles. Le restaurant d’alors est un endroit luxueux, que l’on trouve principalement dans le quartier du Palais-Royal. Ici réside une clientèle capable de s’offrir des repas qui, s’ils ne sont plus réservés aux aristo crates, n’en demeurent pas moins onéreux. C’est donc une élite aisée qui fréquente les restaurants. La grande nouveauté d’alors est le menu. Face au nombre important de plats proposés, « celui-ci a été inventé pour n’offrir qu’un “menu” aperçu de la prodigalité de l’établisse ment » comme l’écrit l’historienne Rebecca Spang. Dans les premiers temps, son utilisation n’est pas évidente, de nom breux clients ayant parfois besoin de longues minutes pour le lire. D’autre part, le menu permet aussi, grâce à sa formu lation, d’éveiller des désirs et des sensations autrement que par l’odorat ou la vue et d’aiguiser l’appétit, des fonctions qu’il conserve aujourd’hui. Ancien officier de bouche du comte de Provence, frère du roi, Antoine de Beauvilliers est le premier de sa profession à quitter son maître pour s’installer à son compte, à Paris. En 1782, il ouvre, dans le quartier du Palais-Royal, rue de Richelieu, Le Beauvilliers (qui sera remplacé quelques années plus tard, toujours dans la même rue, par La Taverne de Londres). Cet endroit, fort luxueux, va rapidement connaître un immense succès, car il propose à ses clients – principalement des aristocrates – de manger comme à Versailles. Dans un cadre élégant, on bénéficie en effet d’un service irréprochable et d’une superbe cave, et on savoure des plats raffinés, présentés avec soin dans une vaisselle magnifique. Pendant de nombreuses années, la cuisine de Beauvilliers demeurera inégalée au sein de la haute socié té parisienne. Son établissement est d’ailleurs considéré comme le tout premier restaurant gastronomique français. Au moment de la Révolution française, de nombreux cui siniers, qui travaillaient jusqu’alors pour des membres de la noblesse, suivront l’exemple d’Antoine de Beauvilliers et ouvriront leur propre restaurant. C’est ainsi qu’une cuisine de qualité faite de recettes, de rites et de manières spéci fiques de s’alimenter, mais comprenant aussi les arts de la table, a fait sa mue, passant des cuisines privées de l’aris tocratie à celles, publiques, de la haute société. De célèbres et luxueuses enseignes, telles que Véry, Les Trois Frères ANTOINE DE BEAUVILLIERS ET LE PREMIER RESTAURANT GASTRONOMIQUE

a delicious meal. The roasters and traiteurs (offering prepared foods to take home) of the time were limited in what they could offer: only whole cuts of meat, not individual portions. THE EVOLUTION OF RESTAURANTS AND THE BIRTH OF THE MENU De Chantoiseau’s innovation proved a resounding success. As the restaurant spread and quality and en joyment became paramount, gastronomy evolved and was soon becoming more democratised. Until then, the only people in France who ate well were members of the court at Versailles and the nobility, thanks to their own personal chefs. On the eve of the French Revolution, many of the hundred or so restaurants in the capital were held in high regard. Diners patronised restaurants to enjoy dishes that appealed to their taste buds. They were often luxurious places, located mainly in the Palais-Royal neighbourhood, where, for a hefty price, the wealthy elite could enjoy meals no longer reserved for the aristocracy. Menus were a major inno vation. Given the sheer number of dishes on offer, “ the menu was invented to give an idea of the opulence of an establishment ”, said historian Rebecca Spang. The first menus weren’t user friendly, and many customers needed time to read them, as they were written to whet the appetite and create desires and sensations besides smell and sight, just as they do today. Antoine de Beauvilliers, the former chef to the Count of Provence, the king’s brother, was the first chef to leave his master and strike out on his own. In 1782, he opened Le Beauvilliers on the Rue de Richelieu in the Palais-Royal neighbourhood. This luxurious es tablishment was all the rage, offering its aristocratic clientele the chance to dine on refined dishes care fully presented on sumptuous dishes in elegant sur roundings with impeccable service and paired with refined wines, just like at Versailles. For many years, de Beauvilliers’ cuisine was unrivalled in Parisian high society. His establishment is considered the first gas tronomic restaurant in France. At the time of the French Revolution, many chefs who had previously worked for the aristocracy followed De Beauvilliers’ example to open their own restaurants. As a result, quality cuisine based on recipes, rituals and specific ways of dining, moved from the private kitchens of the aristocracy to the public kitchens of high society. Famous luxury establishments were opened, such as Véry, Les Trois Frères Provençaux – which specialised in traditional regional dishes: brandade de morue and bouillabaisse – and Le Grand Véfour, still in business today. The “bouillons” were already long gone, giving way to French gastronomy and its rise to a world-re nowned cultural benchmark. ◆ ANTOINE DE BEAUVILLIERS AND THE FIRST GASTRONOMIC RESTAURANT

still exists on the building’s façade: “ Venite ad me omnes qui stomacho laboratis et ego vos restau rabo ” – “ Come to me all you whose stomachs ache and I will restore you ”. Hence the origin of the word ‘res taurant’. The owner, Mathurin Roze de Chantoiseau, offered restorative dishes such as poultry, eggs, but tered noodles and semolina cakes (whose pale colour was said to have health benefits). This was one of the first establishments to enjoy culinary success, thanks to its poultry in poulette sauce, which became famous throughout Paris. Denis Diderot mentioned the dish in a letter to Sophie Volland in 1767: “ Have I acquired a taste for the restaurateur? Absolutely, an infinite taste for it. The service is good, a little expensive, just when you want it… It’s wonderful and it seems to me that everyone praises it ”. In his book Paris Démoli , published in 1853, author Édouard Fournier also des cribes this restaurant: “ Nearby, in the Rue des Poulies, the first restaurant opened in 1765 and later moved to the Hôtel d’Aligre. It was a bouillon eatery, where it was forbidden to serve stews as in restaurants, but where one could enjoy poultry in coarse salt and fresh eggs served on small marble tables without table cloths ”. In the years before the French Revolution, Mathurin Roze de Chantoiseau was the first to offer this innovative service with no fixed hours, at a single table and with a choice of dishes whose prices were listed at the front of the restaurant. These restaurants offered communal tables (tables d’hôtes), a single dish served at a fixed time, at a price that was not known in advance. But the quality wasn’t always first class. People came just to eat, not to enjoy « Au restaurant, la notion de plaisir gustatif va devenir prépondérante » “In restaurants, taste became paramount”

Provençaux (qui importera à Paris des plats traditionnels régionaux comme la brandade de morue et la bouillabaisse) ou encore Le Grand Véfour, toujours en service au jourd’hui, voient alors le jour. Les premiers « bouillons restaurans » sont désormais bien loin : ils ont cédé à la place à la restauration gastronomique française, qui est devenue une référence culturelle mondialement reconnue. ◆

L’AUTRICE Nathalie Louisgrand, enseignante-chercheure,

Grenoble École de Management (GEM)

THE AUTHOR Nathalie Louisgrand, Professor-Researcher, Grenoble École de Management (GEM)

96 \ PARIS VOUS AIME - JANVIER - FÉVRIER - MARS - JANVIER - FÉVRIER - MARS 2025

JANVIER - FÉVRIER - MARS 2025 - PARIS VOUS AIME / 97

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