Paris vous aime Magazine Juillet-Août-Septembre 2022

sans que personne ne me dise « On a besoin de la table », car ça c’est New York (rires). Je crois que dans la tête de la plupart des Amé- ricains, Paris est un symbole de liberté personnelle. Mais est-ce vrai ? En fait, Paris est une ville où tout le monde travaille et où je sens beaucoup de frustration aussi. Le mythe d’une ville n’est pas la ville. J’aime cette ville non pas parce que c’est une carte pos- tale de Woody Allen. Pour moi, son Paris est ridicule, tout comme celui d’ Emily in Paris. J’ai supporté la série 20 minutes et j’ai pensé qu’à l’avenir ils feront peut-être un épisode d’ Emily dans le 93 ? Ce serait intéressant ! (rires) Dans mes deux romans parisiens, La Femme du V e et Isabelle l’après- midi, je dresse un Paris en dehors des cartes postales, un Paris très réel. Mon Paris est un Paris du quotidien. Ce n’est pas un Paris luxueux — même si tout m’inté- resse à Paris. Je vis près de Châ- teau d’Eau parce que j’aime les cinémas Le Brady et L’Archipel, Le New Morning n’est pas loin, mes agents pour le cinéma sont rue de Paradis et je suis sur la ligne 4, plus pratique que la gare de l’Est. J’adore le fait de traverser Paris et soudainement, se retrou- ver dans un monde à part : c’est la richesse de la ville, chaque quar- tier a plusieurs personnalités. Je connais très bien cette ville. J’ai exploré tous les quartiers à pied, je suis un bon flâneur. Il reste ici à Paris, comparé à New York, un esprit d’indépendance et d’indivi- dualité — plus fort qu’à New York ou Londres — qui est menacé par beaucoup de choses. Vous avez vécu dans le VI e et aujourd’hui dans le X e arrondissement, qu’est-ce qui vous a attiré dans ces quartiers ? J’ai des voisins du Maine qui sont venus à Paris récemment. Ils sont descendus au Ritz, et se sont fait Quelle est votre vision de Paris après vingt ans de vie commune ?

and continued the habit when I arrived in Paris. I love watching movies — great movies — anytime of day. For me, Paris is still a city where you can go to the cinema in the afternoonwithout feeling guilty. You grew up in New York, studied in Dublin, and lived in London and Berlin. What prompted you to come live in France? The lifestyle. I knowmy neighbours and local vendors more intimately than in New York, for example. I like spending the afternoon in a café without anyone telling me “We need your table”, because that’s New York (laughs). I believe that in the minds of most Americans, Paris is a symbol of personal freedom. But is “ J’aime le fait de vivre dans un quartier d’ivresse ”

side the postcards, a very real Paris. My Paris is an everyday Paris, not a luxurious one — even if everything in Paris interests me. I live near Château d’Eau because I love going to Le Brady and L’Archipel cinemas, and the New Morning (jazz club, eds) is not far away. My film agents live on the Rue de Paradis and I’m on [metro] line 4, more convenient than Gare de l’Est. I love crossing Paris and suddenly finding myself in a different world. This is the city’s richness, since each neigh- bourhood has multiple personali- ties. I know the city very well. I’ve explored every neighbourhood on foot, I’m a good wanderer. Com- pared with New York, Paris still has a spirit of independence and individuality — stronger than in New York and London — which is now being threatened by many things. You lived in the 6 th arrondisse- ment and now live in the 10 th : what attracted you to these neighbourhoods? I have neighbours from Maine who recently came to Paris. They went to the Ritz and enjoyed din- ning in a Michelin-star restaurant. I offered them an evening with me: a 7:30 pm jazz concert at the Duc des Lombards followed by dinner in my neighbourhood in the 10 th . I was truly amazed because they had no knowledge of these neigh- bourhoods. I like living in an inti- mate, intoxicating neighbourhood with small shops, 1960s DIY stores, shoemakers, a good cheesemonger, a florist. I like and know every- one – I’ve lived in the 10 th for more than ten years. That said, more and more chain stores have opened outlets here. For me, the danger is that Paris becomes like the United States or London, where it’s become too expensive for small businesses. I lived in the 6 th before, but the closure of the La Hune bookstore and Cinema Saint-Germain were tragedies for me, just as all these sanitised cafés that are popping up there are. I hope the 10 th will stay as it is. Uniformity is a major problem in the modern world.

un restaurant étoilé en tête-à-tête. Je leur ai proposé une soirée avec moi : une séance à 19 h 30 au Duc des Lombards puis un dîner dans mon quartier, le 10 e . J’étais fran- chement scotché car ils n’avaient aucune connaissance de ces quartiers. J’aime le fait de vivre dans un quartier d’ivresse, assez intime, avec des petits commer- çants, des boutiques de bricolage des années 1960, des cordonniers, une bonne crémerie, un fleuriste. J’aime et je connais tout le monde, j’habite dans le 10 e depuis plus de dix ans. Cela dit, de plus en plus, s’ouvrent des enseignes standar- disées. Pour moi, le danger est que Paris devienne comme les États-Unis ou Londres où tout est devenu trop cher pour les commerçants individuels. Avant j’habitais dans le 6 e , mais la fer- meture de La Hune a été une tra- gédie pour moi, tout comme celle du cinéma Saint-Germain, tout comme tous ces cafés aseptisés qui s’installent. J’espère que le 10 e va rester tel qu’il est. L’asep- tisation est un grand problème du monde moderne. Quels auteurs, selon vous, ont le mieux raconté Paris en littérature ? Un de mes romans préférés à Paris est La Neige était sale de Georges Simenon, qui raconte l ’occupation. Hemingway, oui et non. Henry Miller, avec Jours tranquilles à Clichy, raconte ses aventures féminines, mais ce sont des clichés (rires). Pour moi, la vie est plus intéressante que la culture. Quelles figures artistiques parisiennes vous ont marqué ? Colette. Patrick Modiano, qui dépeint Paris de manière passion- nante, un photographe comme Cartier-Bresson, Louis Malle avec Ascenseur pour l’échafaud, un de mes films préférés, mais aussi Henri-Georges Clouzot pour Quai des Orfèvres, Chabrol, Godard pour À bout de souffle et le grand Jean-Pierre Melville pour tous ses polars.

Douglas Kennedy sur les berges du canal Saint-Martin. Douglas Kennedy on the banks of Canal Saint-Martin.

• 1997 : Parution de son premier livre en français, Cul-de-sac (Folio Policier). La version anglaise date de 1994 sous le titre The Dead Heart . Publication of his first book in French, Cul-de-sac (Police Folio). The English version The Dead Heart dates from 1994. • 2010 : Adaptation au cinéma de L’Homme qui voulait vivre sa vie par Éric Lartigau avec Catherine Deneuve, Marina Foïs, Romain Duris, Niels Arestrup. One of my favourite novels about Paris is Georges Simenon’s The Snow Was Dirty, set during the German occupation. Hemingway, yes and no. Henry Miller’s Quiet Days in Clichy recounts his adven- tures with women, but these are clichés (laughs). I believe life is more interesting than culture. Which authors, in your opinion, have best narrated Paris in literature?

Film adaptation of Éric Lartigau’s The Man Who Wanted to Live His Life with Catherine Deneuve, Marina Foïs, Romain Duris, Niels Arestrup. • 2006 : Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Became Knight of the Order of Arts and Letters. • 2022 : Sortie de son 25 e roman, Les Hommes ont peur de la lumière (Belfond). Release of his 25 th novel, Afraid of the Light. Which Parisian artistic figures most influenced you? Colette. Patrick Modiano, who portrays Paris in a fascinating way; photographer Cartier-Bres- son; Louis Malle’s Lift to the Scaf- fold , one of my favourite films, but also Henri-Georges Clou- zot’s Goldsmiths’ Quay , Chabrol, Godard’s Breathless , and the great Jean-Pierre Melville for his thrillers.

I like living in an intoxicating neighbourhood

it true? Paris is actually a citywhere everyoneworks andwhere one feels a lot of frustration as well. The city’s myth isn’t the city. I love this city not because it’s aWoodyAllen postcard. To me, his Paris is ridiculous, just like the city of Emily in Paris. I put up with the 20-minute series and thought maybe in the future they’ll do an episode of Emily in the subur- ban 93 postcode. Now that would be interesting! (laughs). What’s your vision of Paris after living here for 20 years? In my two Parisian novels, The Woman in the Fifth and Isabelle in the Afternoon , I portray a Paris out-

Douglas Kennedy en quatre dates Douglas Kennedy in four dates

PATRICE NORMAND/LEEXTRA

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