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neutralisée par le système. Il n’empêche que l’immense majorité des partis s’inscrivent dans l’histoire européenne. Dans ce contexte, la voix de l’écrivain porte-t-elle encore ? Lors de la révolution de 1848, la voix des poètes alimentait la politique. Et je crois qu’elle peut toujours susciter l’enthousiasme. Le problème, c’est que peu de poètes parlent de l’Europe. Elle n’est plus un sujet pour la fiction, pour la littérature. Le succès de Nous,

neutralised by the system. Nevertheless, the vast majority of parties are very much a part of European history. In this context, does the writer’s voice still count? During the revolution of 1848, poets’ voices fuelled politics. And I think they can still inspire enthusiasm. The problem is that few poets speak about Europe. It is no longer a subject for fiction or literature. The success

l’Europe me laisse croire que cette voix porte encore. Un poème en vers libre, sur l’Europe, on aurait pupenser quecelaplomberaitlesuccèscommercial du livre. Et pourtant, je rentred’Avignon où il a été joué : c’était plein tous les soirs. EnFrance, l’écrivain jouit d’un statut très fort. On accepte des gens de lettres qu’ils fassent un pas de côté

of Nousl’Europe(We,Europe) leadsme to believe that this voice is still heard. Onewould think that a poem about Europe in free verse would impedethebook’scommercial success. And yet, I amback fromAvignonwhere it played to a full house every night.

«Paris est une ville qui offre de la beauté» “Paris is a city which offers beauty”

Writers enjoy a very strong status in France and people accept that we delve into politics. I find that very beautiful. One should not avoid this dimension, but inhabit it, still remaining on the side of literature. In Ouragan (Hurricane) you touched on climate change, and in Eldorado you took on the issue of migrants. Would you define yourself as a politically committed writer? IwouldrathersaythatIamawriterofconviction. I place the figure of the “politically committed” writer on a higher level than myself. When I was able to visit certain rough places in the world, I went as an observer. The “politicially active writer” is involved in both writing and action. Are there books that particularly inspire you that you always go back to? There is, of course, Blaise Cendrars’s The Prose of the Trans-Siberian , a travel book somewhere between narrative and poetry. Some questionwhetherCendrars even visited all the places he mentions. But a writer has the right to lie. Andhe didmake these journeys because he wrote about them! I would also mentionGabriel GarcíaMárquez’s Chronicle of a Death Foretold . From the first page we know that the hero will die and yet we feel a constant suspense, as if hewill ultimately pull through. Bernard-MarieKoltès’ In theSolitude of Cotton Fields inspired me to write for the theatre. Italy, Africa, New Orleans: your novels all take place outside France. Does your writing need to occur elsewhere? We write about what we don’t know about

vers le politique. Je trouve cela très beau. Il ne faut pas déserter cette dimension, mais, au contraire, l’habiter. Tout en restant du côté de l’écriture. Vous avez abordé dans Ouragan, la question des bouleversements climatiques. Avec Eldorado, celle des migrants. Vous définiriez- vous comme un écrivain engagé ? Je dirais plutôt que je suis un écrivain de convictions. Je place trop haut la figure de l’écrivain engagé pour me sentir concerné. Quand j’ai pu me rendre dans des endroits un peu rugueux du monde, j’y suis allé en tant que spectateur. Or, l’écrivain engagé est à la fois dans l’écriture et dans l’action. Avez-vous des livres qui sont pour vous comme des viatiques, vers lesquels vous revenez toujours ? Il y a bien sûr Blaise Cendrars, avec La Prose du Transsibérien . Il y est question de voyage, entre récit et poésie. Alors bien sûr, certains mettent en doute le fait que Cendrars ait bien visité tous les endroits dont il parle. Mais un écrivain a bien le droit dementir. Et puis, il a fait ces voyages puisqu’il les a écrits ! Je citerais aussi Gabriel GarcíaMárquez et sa Chronique d’une mort annoncée  : dès la première page, on sait que le héros va mourir et pourtant, on ressent constamment un certain suspens, en se demandant si, finalement, il ne va pas s’en sortir. Enfin, Dans la solitude des champs de coton de Bernard-MarieKoltès qui m’a donné envie d’écrire pour le théâtre. L’Italie, L’Afrique, la Nouvelle-Orléans : vos romans se passent souvent hors de nos frontières. Votre écriture a-t-elle besoin de l’ailleurs pour se déployer ? On écrit avec ce qu’on ne sait pas de soi-même. Si j’avais toutes les réponses, sans doute n’écrirais-je plus. Néanmoins, il y a deux choses que je peux dire. La première, c’est qu’un roman représente pour moi une année de travail. Et qu’elle doit être une année de découvertes, que ce soit en me documentant ou en

86 - PARIS WORLDWIDE SEPTEMBRE / OCTOBRE SEPTEMBER / OCTOBER

2019

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