PVA Magazine n°6 (juillet-octobre 2021)

3 QUESTIONS À

Pap NDiaye

Quel héritageParis tire-t-elledesonpassé decapitale impériale? Si Paris est aujourd’hui une ville-monde, c’est en partie parce qu’elle fut longtemps, jusqu’au milieu du XX e siècle, une capitale impériale, lieu du pouvoir politique mais aussi de ses contestations. Le pouvoir politique impérial s’incarnait dans des lieux, dans des édi ces comme le ministère des Colonies (plus tard le ministère des Outre-Mer), rue Oudinot, ou le Palais des colonies, l’actuel Palais de la Porte-Dorée. Installé dans le 12 e arrondissement de Paris, à l’orée du bois de Vincennes, ce palais est un monument colonial, un chef-d’œuvre de l’Art déco français des années 1930, décoré par de grands artistes comme le peintre Louis Bouquet ou le sculpteur Alfred Janniot. Inauguré à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale de 1931, le Palais des colonies visait à célébrer la grandeur et l’utilité de la colonisation française. Les salons historiques, le hall d’entrée, le grand forum, témoignent de cette intention d’impressionner les visiteurs, et de les faire rêver avec une décoration spectaculaire. Cet historien, spécialiste de l’histoire sociale des États-Unis et des minorités, est depuis cette année le directeur général du Palais de la Porte-Dorée, qui accueille leMusée national de l’histoire de l’immigration. Historian Pap NDiaye, a specialist in the social history of the United States, particularly of minorities, was recently appointed Director General of the Palais de la Porte-Dorée, the National Museum of the History of Immigration. De manière historique et critique. Le Palais de la Porte-Dorée est un point d’appui exceptionnel pour parler de l’histoire de l’empire français, et pour montrer la di érence entre propagande et réalité. En s’appuyant sur les travaux des historiens, il est nécessaire de parler sereinement des crimes de la colonisation. Sansoublier queParis fut également lecentrenévralgique decontestationde lacolonisation… Tout à fait. Dans les années 1930, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire s’y rencontrèrent, l’un venant du Sénégal, l’autre de Martinique. Les deux étudiants commencèrent à penser ce qui allait être le travail de leur vie: que cela signi e-t-il d’être noir dans la société de l’époque, comment transformer en sujet de erté ce dont on voulait leur faire honte? La négritude était née. Plus tard, dans les années 1950, la revue et maison d’édition Présence africaine — dont la librairie est toujours installée rue des Écoles — rassemblait la ne eur des intellectuels de l’époque pour ré échir sur l’Afrique en voie de décolonisation, et ses liens avec le reste du monde. C’est à la Sorbonne, en 1956, que se tint le fameux Congrès des écrivains et artistes noirs, dans un amphithéâtre comble. Cette géographie parisienne du pouvoir et de ses remises en cause dessine des itinéraires passionnants, susceptibles de nourrir les débats sur le colonialisme et le postcolonialisme, qui prennent une place croissante en France, et ailleurs dans le monde. Comment lacolonisation françaisedoit-elle êtreconsidéréeaujourd’hui ?

What has Paris inherited from its past as an imperial capital? If Paris is a major world city, it is partly due

to the fact that until the mid-20 th century, it was an imperial capital. Imperial political power was embodied in buildings such as the Ministry of the Colonies (later the Ministry of Overseas Territories), on rue Oudinot, and the Palais des Colonies, now called Palais de la Porte-Dorée. Located in the 12 th near the Bois de Vincennes, this palace is a masterpiece of 1930s French Art Deco, embellished by great artists like painter Louis Bouquet and sculptor Alfred Janniot. Inaugurated for the 1931 International Colonial Exhibition, the Palais des Colonies celebrated the grandeur and usefulness of French colonisation. The grand salons and entrance hall testify to the goal of impressing visitors with spectacular ornamentation. How should French colonisation be viewed? Historically and critically. The Palais de la Porte- Dorée is a unique reference for narrating the history of the French Empire and showing the discrepancies between propaganda and reality. Relying on the work of historians, it is necessary to speak calmly about the crimes of colonisation. Absolutely. In the 1930s, Léopold Sédar Senghor from Senegal and Aimé Césaire from Martinique met here. The two students began thinking about the questions that would become their lives' work: What did it mean to be Black in the society of the time, how to turn something considered shameful into pride? 'Negritude' was born. Later, in the 1950s, magazine and publishing house Présence Africaine – whose bookstore is still on Rue des Écoles – brought together the intellectual elite to re ect on Africa's decolonisation process and its ties with the rest of the world. The famous Congress of Black Writers and Artists was held at the Sorbonne in 1956 in a packed amphitheatre. This Parisian geography of power and its opposition is likely to continue to fuel discussions on colonialism and post-colonialism in France and worldwide. Without forgetting that Paris was also a centre of protest against colonisation ...

STÉPHANE MANEL

JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE

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