PVA (Janv-Mars 2021)

CENTRE DU EURASIE, LE NOUVEAU MONDE

Pour Bruno Maçães, disciple de Samuel Huntington, le nouvel ordre mondial est à chercher du côté du vaste continent eurasiatique.

Bruno Maçães, a disciple of political scientist Samuel Huntington, believes

that a new world order is unfolding on the vast Eurasian continent. EURASIA, THE NEW CENTRE OF THE WORLD

E urope is back, according to French President Emmanuel Macron. Au contraire, says Bruno Maçães in his new book, The Dawn of Eurasia: On the Trail of the NewWorld Order , which calls the idea that Europe is an in uen- tial geopolitical actor illusory, even laughable. Maçães argues that the era of Western domination is over. As the United States isolates itself and Europe withdraws, emerging Asian powers will reshape world order. Nothing suggests that this will bene t European democracies. Maçães, whose PhD thesis was supervised by Samuel Huntington, known for the theory of the "clash" of civilisations, believes that the world will in many ways be “fragmented due to different and ultimately irreconcilable visions”. Unlike in the past, when various civilisations existed independently – such as the Qing dynasty, the Mughals, and the Habsburgs – political and "civ- ilisational" models are now closely interconnected. Hence the notion of Eurasia: a supercontinent with profoundly different societies in a tightly connected space. Shadows and chaos Europeans are mistaken in "think- ing that the rest of the world is exactly like Europe", says Maçães. This perception was valid in the 1990s, when Western democra-

programmes d’élargissement de l’Union européenne et de l’Otan ont perdu de leur attrait, excepté peut-être pour l’Ukraine. Au lieu d’étendre son in uence, l’Europe cherche l’apaisement: « La stratégie de Bruxelles commence à ressem- bler à celle de la dynastie Qing de Chine: si tout ce que nous deman- dons, c’est qu’on nous laisse en paix, pourquoi les autres ne nous l’accor- deraient-ils pas ? » Ainsi, « les fron- tières entre l’Europe et la Russie de- viennent de plus en plus des zones d’ombre et de chaos » . La raison en est non seulement l’impuissance européenne, mais aussi l’ingérence de Moscou. La nature de la politique étrangère du Kremlin lui impose de créer le chaos. « La Russie n’aspire pas à substituer à l’ordre libéral mondial unmonde sans règles, mais elle estime que le chaos est l’état na- turel de l’humanité et qu’on ne peut y échapper qu’avec l’autorité d’un puissant souverain. » Le déclin relatif de l’Europe est en partie le re et de son manque de dynamisme économique. Malgré l’innovation technologique, la crois- sance des taux de productivité euro- péens demeure proche de zéro. Les domaines dans lesquels les évolu- tions technologiques ont été les plus importantes ces dix dernières Manque de dynamisme économique

cies seemed to be a model towards which other countries converged, especially in post-communist East- ern Europe. But the EuropeanUnion and NATO’s extension programmes have largely lost their appeal, except perhaps for Ukraine. Instead of expanding in uence, Europe seeks appeasement: “Brussels' strategy is starting to resemble China dur- ing the Qing dynasty: if all we ask is to be left in peace, why wouldn't others grant that to us?” Thus, “the borders between Europe and Russia are increasingly becoming areas of shadowand chaos.” Maçães believes this is caused by European impo- tence as well as interference from Moscow. The Kremlin's foreign pol- icy thrives on chaos. “Russia d sn’t aspire to replace the democratic world order with lawlessness, but believes chaos is the natural state of humanity and can only be overcome by the authority of a strong ruler”. Lack of economic dynamism Europe's relative decline in part re ects its lack of economic vital- ity. Despite technological innova- tion, European productivity growth remains close to zero. The most sig- ni cant advances of the last decade are in social networks and media, not the physical world. Europeans have become highly suspicious of innovations like GMOs, platforms like Uber – which have signif-

En collaboration avec Phébé , la veille d’idées internationale par Le Point

Dalibor Rohac, chargé de recherche à l’American Enterprise Institute à Washington Boris Séméniako

L ’Europe est de retour, aime à rappeler le pré- sident français Emma- nuel Macron. D’après le nouveau livre de Bruno Maçães, l’idée que l’Europe est un acteur géopolitique in uent est au contraire illusoire, voire risible. À la fois carnet de voyage et analyse politique et économique, The Dawn of Eurasia: On the Trail of the New World Order compte parmi les lec- tures les plus fascinantes, bien que déconcertantes, de ces derniers mois. L’auteur y af rme que l’ère de la domination occidentale est révolue. Alors que les États-Unis s’isolent du monde et que l’Europe se replie sur elle-même, ce sont les puissances asiatiques émergentes qui vont façonner l’ordre mondial. Et rien ne suggère que les nouvelles règles seront favorables aux démo- craties européennes. Bruno Maçães, dont la thèse de doc- torat fut réalisée sous la direction de Samuel Huntington, célèbre pour sa théorie du choc des civilisations, ne se montre pas très optimiste sur notre époque. Il estime qu’à bien

des égards, le monde demeurera « fragmenté en raison de visions différentes et nalement inconci- liables » . Mais contrairement à ce qu’on a pu observer dans le passé, où les diverses civilisations existaient de façon indépendante – comme la dynastie Qing, les Moghols ou les Habsbourg –, les modèles po- litiques et « civilisationnels » sont aujourd’hui interconnectés. D’où la notion d’Eurasie – un superconti- nent regroupant des sociétés pro- fondément différentes, de Lisbonne à Djakarta, dans un espace étroite- ment connecté. Ce nouveau monde verra naître frictions et con its. Ombre et chaos L’une des erreurs que commettent les Européens est de « concevoir le monde comme s’il était exactement comme l’Europe » , observe l’auteur. Cette perception était encore valable dans les années 1990, à l’époque où les démocraties occidentales semblaient représenter un modèle vers lequel convergeaient d’autres pays, notamment ceux de l’Europe de l’Est postcommuniste. Mais les

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