PVA (Janv-Mars 2021)

étaient bien en chair et moi j’arrivais, si longue, avec ma peau brunie et ma coupe de garçon. » Elle qui se moque de son humour grinçant, de « ses genoux poin- tus » , de ses « seins comme un garçon de 17 ans » et de ses « dents qui me sortent de la bouche » devient, pourtant, le modèle d’un style nouveau, renversant tous les codes de beauté. Dans les bals et les fêtes, on danse, s’habille et se peigne comme « la » Baker. Les jeunes femmes dans le vent rêvent d’un teint hâlé et lissent leurs cheveux désormais courts avec du Baker x, la pommade plaquante que Joséphine lance en 1926. Un corps d’avant-garde Pour l’heure, elle en est certaine, « mon corps est intelli- gent » , c’est-à-dire adapté à une époque euphorisée par un après-guerre en perpétuelle quête d’évasion. Toujours en mouvement, la silhouette est légère, capable de toutes les postures, mais surtout affranchie et sans tabou, ne craignant pas d’exposer sa nudité. Ce corps devient le réceptacle des phantasmes et désirs de transgression du Paris bohème des années 1920. Un corps d’avant-garde, célébré par ceux qui font souf er un vent de liberté sur l’époque, de Cocteau à Colette. Joséphine Baker devient une icône pour les cubistes, pose pour Picasso, Man Ray et Foujita. Le Montmartre effervescent l’accueille, le Montparnasse bouillonnant l’invite à La Coupole ou à La Rotonde. Après le triomphe de la Revue nègre, spec- tacles et tournées s’enchaînent, tandis que le music-hall entre dans son âge d’or. Les shows qu’elle monte aux Folies Bergère (affublée de sa célèbre jupe de bananes) ou au Casino de Paris (avec son léopard Chiquita), puis à l’Olympia ou à Bobino, après-guerre, créent un appel d’air: le jazz et les mu- siques noires bouleversent la cartographie sonore de la capitale. Celle qui deviendra française en 1937 en se ma- riant, ouvre en 1926 un cabaret près du Moulin Rouge, Chez Joséphine. Des boîtes de nuit comme le Jungle, le Jockey Club ou le Bal Nègre voient le jour et en appellent à la mixité. « Il fait de plus en plus noir dans le gai Paris » , fanfaronne un jour la « Vénus d’ébène », future mili- tante antiraciste de renommée internationale. Disparue en 1975, celle qui fut aussi résistante et agent secret de

and then became the height of fashion. At balls and parties, people danced, dressed, and did their coiffure themselves to copy "La Baker". Trendy youngwomen tanned their skin and smoothed their now-short hair with Bak- er x, a pommade launched by Baker in 1926. An avant-garde physique Baker spoke of having "an intelligent body" suited to the euphoric postwar era. Her lithe gure, seemingly capable of adopting any posture asked of it, was in perpetual motion. She was totally free of taboo and unafraid of nudity. Her body became the inspiration for the fantasies and transgressive desires of Bohemian Paris in the 1920s, from Cocteau to Colette. Baker became an icon for the cubists and posed for Picasso, Man Ray, and Foujita. Artistic Montmartre welcomed her, and she was often seen at La Coupole and La Rotonde in lively Montparnasse. Following the tri- umph of her Revue Nègre , she toured widely throughout the golden age of the music hall. Baker's shows at the Folies Bergère (decked out in her famous banana skirt), the Casino de Paris (with her pet leopard, Chiquita), and the Olympia and Bobino theatres after the war brought Paris a breath of fresh air while jazz and Black music transformed Par- is’s music scene. Nightclubs like Le Jungle, Le Jockey Club, and Le Bal Nègre embodied this new cultural and ethnic diversity. "Gay Paris is becoming blacker and blacker", boasted the "Ebony Venus." The artist, who died in 1975, took part in the French Resistance, serving as a secret agent from 1939 to 1945, and later became an internationally renowned activist against racism. She was the privileged wit- ness of a blessed era: “I was the wild idol that Paris needed. I embodied freedom... to send all shackles, including the corset, straight to the devil.” In her most famous song she whispered: “I have two loves, my country and Paris". Has Paris ever had anyone like her?

En mai 1940, Joséphine Baker se produit devant les troupes du British Leave Club à l’Hôtel Moderne de Paris. Josephine Baker performs for the military at Hôtel Moderne de Paris, May 1940.

La « Vénus d'ébène » à la sensualité exotique ne craint pas d'exposer sa nudité. The "Ebony Venus" had

GRIFFÉE HAUTE COUTURE

Si, après la n de la Seconde Guerre mondiale, Joséphine Baker remonta sur scène à l’Olympia (1968) ou Bobino (1975), perpétuant l’esprit du cabaret, elle e ectua surtout de nombreuses tournées à l’étranger (Cuba, Angleterre, Yougoslavie, etc.). L’occasion pour elle de jouer son rôle d’ambassadrice de la haute couture française. Amie de Christian Dior, Pierre Balmain ou Jacques Gri e, elle porte lors de ses spectacles les plus belles robes de l’époque. En 1951, pour une tournée de cinq mois, la diva emporte 45 malles contenant pour 250000 dollars de costumes.

After the Second World War, Joséphine Baker kept the cabaret spirit alive upon her return to the Olympia theatre in 1968 and the Bobino in 1975, but she also toured in Cuba, England, and Yugoslavia. A friend of Christian Dior, Pierre Balmain, and Jacques Gri e, Baker used these occasions to assume the role of ambassador for French haute couture by wearing the most beautiful dresses of the period in her performances. For a ve-month tour in 1951, the diva took 45 trunks containing $250,000 worth of costumes with her.

a free, exotic

1939 à 1945 restera le témoin privi- légié d’une époque bénie. « J’étais l’idole sauvage dont Paris avait besoin. J’ai représenté la liberté (...) d’envoyer tous les carcans au diable, y compris le corset. » « J’ai deux amours, mon pays et Paris » , susur- rait-elle dans sa chanson la plus célèbre. Mais Paris eut-il d’autres pays que Joséphine Baker?

sensuality unafraid of nudity.

Écoutez notre podcast « Les Années folles de Joséphine Baker aux Folies Bergère ».

Josephine Baker's Roaring Twenties at the Folies Bergère

BIO

1906 Naissance, le 3 juin, à Saint-Louis, dans le Missouri (États-Unis). Born in Saint-Louis, Missouri, on June 3.

1925 Arrivée au port de Cherbourg le 25 septembre. Arrival at the port of Cherbourg, on September 25.

1927 Nouveau spectacle aux Folies Bergère, en avril. New show at the Folies Bergère in April.

1940 Engagement, le 24 novembre, dans les services secrets de la France libre. Joins the secret services of Free France on November 24.

1963 Discours lors de la marche sur Washington aux côtés de Martin Luther King, le 28 août. Speech at the March on Washington with Martin Luther King on August 28.

1975 Décès le 12 avril, à Paris. Died in Paris, on April 12.

GETTY IMAGES - POPPERFOTO VIA GETTY IMAGES

JANVIER - FÉVRIER - MARS 2021

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