PVA (Avril-Juin 2020).pdf

C’était le lieu où soufflait l’esprit, où il fallait être. Tout le monde vivait à l’hôtel, et se retrouvait dans la rue, les cafés, c’était un melting-pot culturel extraordinaire et la fête tous les soirs. » « L’atmosphère d’unanimisme et d’euphorie est alors enivrante » , confirme Sylvie Le Bon de Beauvoir, fille adoptive de Simone de Beauvoir, laquelle ressent de la sympathie pour cette exubérance, ce foison- nement, cette jeunesse anticonformiste. Village existentialiste Portée par la fin du conflit mondial, la nouvelle géné- ration découvre le goût de l’optimisme et l’envie d’al- ler de l’avant. L’existentialisme, philosophie prônée par Sartre et Beauvoir affirmant que l’homme est libre et avant tout déterminé par ses actes, devient popu- laire, parfois à contresens. On baptise existentialistes (un peu trop vite) « les zazous provocateurs, le be-bop, les chansons de Juliette Gréco, la trompinette de Boris Vian. Les bars, les caves de Saint-Germain-des-Prés profitent de cette vogue » , selon Sylvie Le Bon de Beau- voir, aujourd’hui éditrice et qui a écrit Album Simone de Beauvoir (La Pléiade, 2018). Parce que beaucoup d’étudiants ou d’apprentis artistes habitent dans des chambres de bonne ou de petits hôtels mal chauffés, on recherche le fameux poêle du Flore, mais on s’abrite aussi aux Deux Magots, chez Lipp, à la Rhumerie mar- tiniquaise, au Procope, au Royal Saint-Germain. Le soir, caves et petits cabarets tels que le Tabou, la Rose rouge ou le Club Saint-Germain servent d’écrins au swing de Sydney Bechet et Miles Davis. En quelques heures, on aura peut-être croisé Michel Leiris, Queneau, Genet, Prévert ou l’écrivaine Anne-Marie Cazalis. « Saint-Ger- main fonctionnait alors comme une caisse de résonance , précise Gilles Schlesser. Dès que quelqu’un créait, publiait, tout le monde le savait. » Un village pétulant qui poussera Simone de Beauvoir à prendre ses distances tant elle y était vénérée, atten- due, parfois trop. « Elle gardera la nostalgie de ce temps où il suffisait de descendre dans la rue pour tomber sur des visages familiers, d’entrer au Flore pour y être en pays de connaissance », se souvient Sylvie Le Bon de Beauvoir. Un temps révolu ? « Le Saint-Germain

Schlesser, author of Saint-Germain-des-Prés: Les Lieux de Légende ( Saint-Germain-des-Prés. Places of Legend , Editions Parigramme, 2014). Intellectuals and artists lived in its hotels and met in the streets, cafés, and parties of an extraordinary melting pot. "The unity and euphoric atmosphere were intoxicating to her", recalls De Beauvoir’s adopted daughter, Sylvie Le Bon de Beauvoir. "She was in tune with the exuberant, profuse, anti-conformist youth movement". Existentialist village At the end of the war, the new generation embraced optimism and the desire to move forward. Existen- tialism, the philosophy advocated by Sartre and De Beauvoir stating that humankind is free and, above all, determined by action, grew in popularity – though sometimes not as they'd hoped. The provocative 'zazou' subculture, bebop jazz, Juliette Greco's songs, and Boris Vian's trumpet playingwere all (perhaps prema- turely) labelled "existentialist". "The bars and cellars of Saint-Germain-des-Prés took full advantage of these trends", said Le Bon de Beauvoir, whose book, Album Simone de Beauvoir (La Pléiade, 2018), chronicles the period. Because many students and artists lived in tiny maid’s quarters or poorly heated hotels, people warmed up by the Café de Flore’s famous stove or took shelter at Les Deux Magots, Brasserie Lipp, Rhumerie Martiniquaise, Le Procope, and the Royal Saint-Ger- main cafés. In the evening, Le Tabou, Le Rose Rouge, and Club Saint-Germain cabarets featured jazz lumi- naries like Sydney Bechet and Miles Davis. One could spot Michel Leiris, Raymond Queneau, Jean Genet, and Jacques Prévert around the neighbourhood. "Saint-Germain functioned as a sounding board. As soon as anyone created or published something, everyone knew about it", said Schlesser. The sometimes-overwhelming veneration of the unruly village finally pushed De Beauvoir away. "She

Jean-Paul Sartre, Boris Vian, sa femme Michelle, et Simone de Beauvoir au Procope en 1948. Jean-Paul Sartre, Boris Vian, his wife Michelle, and Simone de Beauvoir at Le Procope in 1948.

Saint-Germain-des-Prés, éternel lieu de fête. Saint-Germain-des- Prés, an eternal place of celebration.

Duke Ellington, Boris Vian, Juliette Gréco et Anne-Marie Cazalis au Club Saint-Germain en juillet 1948. Duke Ellington, Boris Vian, Juliette Gréco, and Anne-Marie Cazalis at the Club Saint-Germain in July 1948.

did feel nostalgia for a time when you’d meet familiar faces in the streets and at Café de Flore, a land populated with people you knew", says Le Bon de Beauvoir. A bygone era? "That vibrant, creative Saint- Germain-des-Prés has disappeared. It's gone from creativity to con- sumption. But the neighbourhood still has poetic charm, particularly in its small streets and old facades". A plaque facing Les Deux Magots bears witness, the names of the two thinkers together once again. ◆

vivant et créateur a disparu , pour- suit-elle. Il est passé de la création à la consommation. Mais le quar- tier garde son charme poétique, dès qu’on s’éloigne par ses petites rues tranquilles aux belles façades anciennes. » Et, face aux Deux Magots, une plaque en appelle au passé : elle porte le nom des deux penseurs, encore une fois réunis. ◆

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Listen to our podcast A place, a face to discover the legendary Café de Flore.

du mythique Café de Flore.

BIO 1928 Rencontre avec Jean-Paul Sartre à la fin de leurs études de philosophie. Meets Jean-Paul Sartre at the end of their philosophy studies.

1954 Prix Goncourt pour le roman Les Mandarins, une « évocation » selon son auteure. WinsthePrixGoncourtforthenovel TheMandarins , an"evocation"accordingtoDeBeauvoir.

1958 Publication de l’autobiographique Mémoires d’une jeune fille rangée . Publication of the autobiographical Memoirs of a Dutiful Daughter .

1986 Décès à l’âge de 78 ans, six ans après Jean-Paul Sartre. Death at age 78, six years after Jean-Paul Sartre.

1945 Création de la revue politique et de littérature engagée Les Temps modernes . Launches Les Temps Modernes magazine on politics and socially engaged literature.

1949 Publication du féministe et existentialiste Deuxième sexe. Publication of the feminist and existentialist tome The Second Sex .

2011 GAMMA-RAPHO ; MANCIET/SIPA - KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-KEYSTONE VIA GETTY IMAGES

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