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In your book, Psychisme Ascensionnel

vue que l’on a sur lemonde, l’espace, le temps. Mais ce n’est pas en soi une expérience intellectuelle. Aujourd’hui, notre société semble entretenir des relations ambivalentes avec les scienti ques et les connaissances scienti ques. Comment susciter auprès des étudiants de l’intérêt pour les sciences, polluées par divers canaux d’information ? Je pense que l’on doit davantage apprendre aux gens comment nos connaissances ont été acquises dans l’histoire des idées. Par exemple, les Français savent que la Terre est ronde mais ne savent pas comment on a su qu’elle était ronde. Et le fait que l’on ne sache pas dire comment on a su ce que l’on sait, fait que nos connaissances, bien qu’elles soient acquises, sont peu maîtrisées et dif ciles à défendre. Ceux qui pensent que la Terre est plate peuvent convaincre des gens mal assurés, même si leurs argu- ments sont faux. Dans l’enseigne- ment, on devrait raconter, tous les ans, l’histoire d’une découverte pour que les élèves comprennent la différence entre connaissance et croyance. Il est compliqué d’or- ganiser son intellect dans ce ux d’informations dont certaines se contredisent. Dans votre nouvel ouvrage, Idées de génies (2) , vous publiez des textes de scienti ques qui ont marqué l’histoire des sciences. Qui sont, selon vous, les génies scienti ques d’aujourd’hui ? Je ne parlerai que de la physique. Pour moi, un génie ce n’est pas quelqu’un de génial, c’est la ren- contre entre un type d’intelligence singulière et un type de problème à une époque donnée. Aujourd’hui, des gens sont extrêmement intel- ligents dans le domaine de la phy- sique mais la façon dont ils pour- raient manifester limpidement leur génie n’existe pas. Einstein n’est pas forcément quelqu’un d’intelligent. En revanche, il possède une façon

sponds to a philosophical leaning. It seems Kantians like high moun- tains and sharp ridges with scarce vegetation. Mountains seem to appeal to those with a taste for con- cepts. To be totally honest, though, I think my love for the mountains is more physical than intellectual. I don’t distinguish between body and mind in a radical way. I’m not a Cartesian, because I feel they work together. But mountains are first an experience of the body which then affects thought. Mountains air out the mind, dust it off. Then you can go back down with a broader view on the world, on space and time. But it is not in itself an intellectual experience. Our society seems to have an ambivalent relationship with scientists and scientific knowledge. How can we get students interested in a science that’s been contaminated by misinformation? I think people need to learn more about how knowledge has been acquired in the history of ideas. For example, French people know that the Earth is round but don’t neces- sarily know how we came to that conclusion. That we don’t know how we came to know what we know indicates that our knowledge is poorly mastered and therefore hard to defend. Someonewho believes the Earth is flat can convince someone insecure of their knowledge with an erroneous argument. The his- tory of discovery should be studied in schools so students can discern between knowledge and belief. It is hard to organise one’s intellect within the current tides of contra- dictory information. In your new book, Idées de Génies (Ideas of Geniuses) (2) , you published works by scientists who have made their mark on the history of science. Who are today’s geniuses? Speaking only about physics, to me genius is not about greatness but the encounter between a particu- lar type of intelligence and a type of problem at a given time. People

Paris depuis un pont, le pont des Arts ou le pont de l’Alma par exemple, il y a une vue magni- que, mais ce n’est pas une vue qui invite à lever haut le regard. La tour Eiffel, peut-être, mais c’est juste une petite inclinaison, ce n’est pas vraiment lever la tête. D’où vous vient cette passion pour l’alpinisme et les alpinistes ? Je suis allé à la montagne à l’âge de 20 ans. Ça a été une rencontre, presque une rencontre amou- reuse, comme un coup de foudre. Ce n’est pas du tout un processus lent qui aurait démarré dans l’en- fance par la fréquentation régu- lière des pentes via le ski ou je ne sais quoi. C’est vraiment une ren- contre tardive dont la passion n’a fait qu’augmenter. « Il me plaît de penser que la physique est une sorte d’alpinisme intellectuel consistant à grimper jusqu’à des hauteurs himalayennes où le logos est rare et la vérité mutique. » Dans cette citation, quel lien faites-vous entre la physique et la montagne ? Il y a un rapport entre la physique et l’alpinisme : certains pensent que le type de paysage qu’on aime per- met de connaître le système philo- sophique auquel on appartient. Il semblerait que les Kantiens aiment la haute montagne, les arêtes ef - lées, c’est-à-dire les endroits où il n’y a pas beaucoup de végétation, et que nalement la montagne serait attractive pour ceux qui ont le goût du concept. Alors peut-être que c’est ce qui explique ce tropisme. Mais pour le dire de façon plus honnête, mon amour de la montagne est plu- tôt une expérience corporelle qu’in- tellectuelle. Je ne distingue pas le corps et l’esprit demanière radicale, je ne suis pas cartésien car ils fonc- tionnent ensemble, mais la mon- tagne c’est d’abord une expérience du corps qui a ensuite des effets sur la pensée. Elle l’aère, la dépoussière. Quand on redescend, elle permet d’avoir un élargissement du point de

(Ascending Psychism ) (1) , you describe your passion for the mountains and say your head is always in the clouds. Do you sometimes look up in Paris? I’ve never asked myself that ques- tion. In Paris, I don’t lower my head or look at my feet, but usually have a horizontal gaze as I observe things happening at surface level. I love “ Le génie d’aujourd’hui est beaucoup plus collectif qu’individuel ” “ Today’s genius is much more collective than individual ” looking at Paris from a bridge, like the Pont des Arts or Pont de l’Alma. But I don’t need to look up at the sky for these magnificent vistas. Maybe I do tilt my head a little for the Eiffel Tower. Where does your passion for mountaineering come from? I first went to the mountains when I was 20 and it was love at first sight, a passion that has only kept growing. intellectual mountaineering on Himalayan heights, where divine reason is scarce and truth is muted ”. What connec- tion do you make between physics and the mountains? There is definitely a connection between physics and mountaineer- ing. Some people believe that the type of landscape one likes corre- You said, “ I like to think of physics as a kind of

today are brilliant in physics but lack the means to manifest their genius. Einstein wasn’t necessar- ily intelligent, but he had a way of asking questions to reveal cracks in the physics of his time that he then solved. He would be lost in our era. Today’s genius ismore collaborative than individual. The idea we have of geniuses with singular personal- ities like Galileo, Einstein, andNew- ton is historically dated. We now have artificial intelligence, big data, and digital technology, which are fundamentally changing the way we approach physics. The autonomy of the human brain in this context is by no means guaranteed. Human intelligence hybridises with tech- nology, with neural networks and various types of artificial aids that influence the ways in which we use our intelligence. Everything that could be achieved in physics with pencil and paper has already been accomplished. (1) Editions Arthaud, 130 p., €13. (2) From Flammarion editions, 336 p., €10.

de poser des questions qui problé- matisent la physique de son temps et révèlent des ssures qu’il va résoudre. À notre époque, Einstein serait perdu. Le génie d’aujourd’hui est beaucoup plus collectif qu’indi- viduel. La gure de génie telle qu’on a pu la connaître avec des person- nalités très singulières commeGali- lée, Einstein ou Newton n’existera plus. La gure de génie est histo- riquement datée et connotée. Mais on a l’intelligence arti cielle, le big data et le numérique qui changent en profondeur la manière de faire de la physique. L’autonomie du cerveau humain dans ce contexte n’est pas du tout garantie. L’intelli- gence humaine s’hybride avec de la technologie, avec des réseaux de neurones, toutes sortes d’aides arti cielles qui peuvent modi er la façon d’exercer son intelligence. Tout ce que l’on peut faire avec un crayon et un papier en physique a déjà été fait. (1) Aux éditions Arthaud, 130 p., 13 €. (2) Aux éditions Flammarion, 336 p., 10 €.

AVRIL - MAI - JUIN 2021

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