PVA (Avril-Juin 2020).pdf

PARIS À L’HEURE DU TOURISME URBAIN

3 QUESTIONS À Christian Omodeo Docteur en histoire de l’art, spécialiste des cultures urbaines, directeur artistique et créateur de la librairie spécialisée dans le domaine, Le Grand Jeu*.

ExploreParis (2) introduces visitors to “the dei- ties of the Hindu pantheon” in the many temples between La Courneuve and Le Bourget. In Paris’ Châ- teau Rouge neighbourhood (18 th arrondissement), the Baština association’s (3) strolls through the Petit Mali market, “a local excursion around the corner that’s as interesting as themarkets of Bamako or Dakar”, have met with resounding success. A “culture transmitter” fromMali narrates the neighbourhood’s eventful his- tory amidst stalls of exotic products and the aromas of local dishes in a typical African atmosphere. All of these experiences encourage tourism professionals to devise alternative forms of tourism for visitors as well as city dwellers keen to learn, travel, and see their home through new eyes. (1) myurbanexperience.com; (2) exploreparis.com; (3) bastina.fr Urbex, a fascinating phenomenon Urbex, from ‘urban exploration’, has created a new generation of explorers whose terrain is the abandoned buildings that nature has reclaimed without erasing the architectural vestiges of their history. An interest in place memory prompted Tim* to venture into ‘The Source of Art’, his name for the abandoned former headquarters of the Fondation Cartier he discovered in the old Montcel estate in Jouy-en-Josas (Yvelines) on a foray in 2014. “ Everything was crumbling when I quietly ventured in. I also encountered two huge sculptures, Long Term Parking , a stack of 59 cars cast in concrete by Arman, and Homage to Ei el , by the artist César ” . Current renovations at the estate will allow the general public to rediscover these works. To rescue their discoveries from oblivion, these networks of urban explorers meticulously photograph and lm them. * Timothy Hannem est l’auteur d’ Urbex, 50 lieux secrets et abandonnés en France et Urbex Europe , aux éditions Arthaud . *Timothy Hannem is the author of Urbex (50 Secret and Abandoned Places in France) and Urbex Europe , published in French by Arthaud. à Jouy-en-Josas (Yvelines). Un lieu qu’il déniche en 2014, à l’abandon. «Tout était délabré lorsque je m’y suis aventuré discrètement. Quand je suis sorti dans le parc, je suis tombé sur deux immenses sculptures: Long Term Parking , un empilement de 59 voitures coulées dans le béton signé Arman, et Hommage à Ei el , de l’artiste César.» Des travaux permettront bientôt de présenter ces œuvres au public. Tous ces vestiges sont photographiés et lmés par le réseau des explorateurs urbains a n qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. L’Urbex, un drôle de phénomène Contraction de URBan EXploration (exploration urbaine), l’Urbex a révélé une génération d’explorateurs pas comme les autres. Leurs terrains de jeux? Des bâtiments abandonnés à leur triste sort. Des lieux où la nature a repris ses droits sans jamais réussir à e acer les restes des architectures et avec elles, une histoire gée dans le temps. C’est ce travail de mémoire qui pousse Tim* à s’aventurer dans ces ruines. Parmi ses trouvailles, «La Source de l’Art», le nom qu’il a donné à l’ancien siège de la Fondation Cartier, installé jusqu’en 1994 au domaine de Montcel,

« La culture urbaine est une culture pop qui a ses codes et s’approprie la ville »

“ Urban culture is a pop culture, with its own codes that appropriates the city for itself ” A PhD in art history, specialist in urban culture, artistic director, and the founder of Le Grand Jeu* bookstore specialising in urban culture.

D’où vient le phénomène des cultures urbaines ?

La culture urbaine est née avec la jeunesse dans les années 1970, puis s’est développée dans les années 1980 et 1990. Elle s’inscrit dans un esprit de la spontanéité et de l’autonomie. Dans les grandes métropoles, les enfants avaient plus de

Where does the urban culture phenomenon come from? Urban culture was born in the 1970s in the spirit of spontaneity and autonomy and further evolved in the 1980s and 90s. Young people in big cities had more freedom and bene ted from anonymity, so their rebellious acts were more dif cult to control or repress. Young people looked around and lled the voids they saw in the urban fabric. During Britain’s deindustrialization, for example, kids would appropriate vacant factories to listen to music and dance. Young Californians skateboarded in empty swimming pools. A young Parisian who explored abandoned buildings near his own home might do the same thing in Berlin or New York. This pop culture makes its own rules and appropriates the city for itself. Is ‘urbex’ a part of this urban phenomenon? There are many empty spaces in Paris and the suburbs, but the value of real estate is such that abandoned sites are quickly repurposed. Graf ti artists were the rst ‘urban explorers’. When graf ti was criminalised they took over abandoned spaces to paint undisturbed. This is how urbex was born.

Sur l’île Seguin, les usines Renault, fermées en 1992, ont été transformées en une salle de spectacles, La Seine Musicale. The Renault factories on l’île Seguin, closed since 1992, were transformed into La Seine Musicale concert hall.

liberté et pouvaient vivre sous couvert d’anonymat. Tout acte rebelle sortant du cadre était donc plus dif cile à contrôler, à réprimer. Les jeunes vont regarder autour d’eux et combler les vides qu’ils trouvent dans le tissu urbain. Au moment de la désindustrialisation en Grande-Bretagne, par exemple, ils investissaient les usines désaffectées pour écouter leur musique et danser. En Californie, on pratiquait le skate dans les piscines vides des maisons. Un jeune Parisien qui va explorer les bâtiments abandonnés autour de chez lui, fera de même à Berlin ou a New York. C’est une culture pop qui a ses codes et s’approprie la ville. L’Urbex fait-il partie de ce phénomène urbain? À Paris et en banlieue, il existe beaucoup d’espaces vides, mais le coût de l’immobilier fait que les sites désaffectés retrouvent vite une utilité. Les graffeurs ont été les premiers explorateurs urbains. À partir du moment où l’on a voulu criminaliser le graf ti, ils sont partis en quête d’endroits où peindre tranquillement et se sont approprié des lieux abandonnés. L’Urbex a commencé ainsi. Pourquoi les villes se sont-elles emparées de ces lieux abandonnés ? Les politiques actuels, âgés de 40-45 ans, comprennent mieux ces phénomènes urbains que leurs prédécesseurs. Ils réhabilitent des lieux dans la ville qu’ils souhaitent faire redécouvrir aux citoyens. On balise des quartiers et on incite les gens à se rendre sur ces sites où s’exprime une certaine forme de création. Une fresque donne parfois plus de retours qu’une exposition dans un musée.

également Jean-BaptisteDelsuc. Pour les acteurs poli- tiques, cet art urbain constitue aussi «unmoyen demettre en avant des quartiers et d’y faire venir des gens», analyse Christian Omodeo. La preuve avec Boulevard Paris 13, initié par la mairie du 13 e , une balade artistique et archi- tecturale entre la place d’Italie, la bibliothèque François- Mitterrand et le quai d’Ivry; ou encore avec la Street Art Avenue Grand Paris, située le long du canal Saint-Denis. Voyager sans quitter sa ville La curiosité insatiable des touristes les conduit aussi à participer à des rassemblements pluriculturels. Ainsi, en février, leNouvel An chinois réunit une foule bigarrée lors du dé lé des dragons dans les rues de Belleville ou de la porte de Choisy. Les fêtes bouddhistes célébrées dans les temples de Seine-Saint-Denis ou dans la Grande Pagode du bois de Vincennes, un haut lieu spirituel, offrent un accès aux cultures populaires et religieuses venues d’ail- leurs. L’agence ExploreParis (2) invite, par exemple, à aller à «la rencontre des divinités du panthéon hindou» entre La Courneuve et Le Bourget, où se nichent plusieurs temples. Dans le quartier de Château Rouge (18 e ), l’asso- ciation Baština (3) connaît un franc succès avec sa balade du marché du Petit Mali, «un voyage si proche, au coin de la rue», qui n’a rien à envier à celui de Bamako ou de Dakar, vante la brochure. «Un passeur de culture» origi- naire duMali vous initie à l’histoire du quartier aumilieu des étals de produits exotiques et les saveurs d’un plat local, dans une ambiance africaine. Autant d’expériences qui incitent tous les acteurs des territoires à trouver des formes de tourisme alternatives pour des citadins qui veulent apprendre et voyager sans quitter leurs pénates. (1) myurbanexperience.com ; (2) exploreparis.com ; (3) bastina.fr

Why did cities appropriate these abandoned places?

Today’s politicians who are between the ages of 40-45 understand this urban phenomenon better than their predecessors did. They rehabilitate neighbourhoods where a certain form of creation is expressed and want citizens to rediscover them. An outdoor wall mural sometimes gets more attention than an exhibit in a museum.

* shop.legrandj.eu

STEPHAN GABRIEL/IMAGEBROKER/SHUTTERSTOCK THE GRIFTERS

AVRIL - MAI - JUIN 2021

AVRIL - MAI - JUIN 2021

PARIS VOUS AIME MAGAZINE

PARIS VOUS AIME MAGAZINE

58

59

Made with FlippingBook flipbook maker