PVA (Avril-Juin 2020).pdf

3 QUESTIONS À

TRIBUNE

Comment seporte lesecteur du livre? Le secteur du livre tient bon, son chi re d’a aires n’ayant reculé que de 3% en 2020. On constate que les Français restent très attachés aux librairies indépendantes. Ils n’ont pas hésité, pendant les quelques mois de fermeture, à faire la queue devant celles-ci durant une heure pour récupérer un ouvrage en click & collect, avec une visée engagée pour certains: plébisciter la prescription humaine plutôt qu’un enfermement algorithmique. Cependant, le public n’a pu béné cier des conseils des libraires. Les ventes se sont alors concentrées sur les auteurs renommés ou récompensés par des prix littéraires, au détriment d’auteurs moins connus, édités par des petites maisons d’édition. Quel rapport les Français entretiennent-ils avec la lecture? Nos compatriotes sont très attachés au livre, au livre objet d’ailleurs, plus qu’au livre numérique. Durant le temps disponible avec lequel beaucoup ont dû composer l’année dernière, il y a eu un besoin de renouer avec une forme d’intimité, de fuite, d’imaginaire. Qu’il s’agisse d’être transporté très loin, ou plus proche de nous, en e ectuant parfois une analogie avec ce que d’autres ont traversé auparavant: les ventes de La Peste , d’Albert Camus, ont ainsi explosé. Le livre est apparu comme une valeur refuge et il importe de s’en féliciter. Nous sommes encore une nation de lecteurs, même si leur nombre diminue depuis dix ans. Quels sont les chantiers à venir pour le secteur du livre ? Entretenir et développer le lectorat constitue l’une des priorités absolues. Les 15-25 ans lisent de moins en moins; il s’agit donc de faire renaître le désir en eux. Ceci, par une présence accrue sur les réseaux sociaux, des formes narratives innovantes ou courtes, la création de clubs de lecture pour favoriser l’échange d’idées, un travail avec l’éducation nationale et les centres de loisirs, ou encore le développement de «Partir en livre», notre manifestation consacrée tout l’été à la littérature jeunesse. Autre dé : trouver un équilibre pour faire face aux risques de concentration, qui voient parfois les grands groupes détenir toute la chaîne du livre, de l’écriture à la distribution. L’État, comme il l’a fait avec le prix unique du livre sous l’impulsion de Jack Lang, il y a quarante ans, veille aux équilibres de cette industrie créative. C’est pour cela que le CNL, à travers ses commissions, soutient les livres de ction et de non- ction dont le risque commercial est plus grand. C’est aussi pour cela que nous allons soutenir davantage encore les auteurs et les petites maisons d’édition qui, souvent, prennent des risques, tout en maintenant la densité du tissu des librairies indépendantes. Régine Hatchondo, former managing director of Arte France, was recently appointed head of the Centre National du Livre (CNL), whose mission is to support a diversity of authors and publishers in the industry as well as a dense network of bookstores. Régine Hatchondo Ancienne directrice générale d’Arte, Régine Hatchondo est depuis peu à la tête du Centre national du livre (CNL), dont lamission est de soutenir les acteurs de cette lière, a n demaintenir la diversité des auteurs et des éditeurs, ainsi qu’un réseau dense de points de vente.

Martin Vanier

TheprofessorattheParisSchoolofUrbanPlanning emphasisesthe importanceforcitiestooffera levelofcomfort intheirfacilitiestoallowthepublic to inhabitthem,not justfocosonasolefunction.

Ce géographe et professeur à l’École d’urbanisme de Paris affirme l’importance, pour les équipements des villes et métropoles, de proposer le confort qui permettra au public de les habiter, et pas simplement d’y passer ou de se limiter à leur fonction première. “ Continuer à inventer le confort

I 've been thinking recently about a comment made by a regional pre- sident during a discussion on airport strategy - "An airport is for planes to take off and land" - in response to the idea of developing the airport territory, judged too competitive with the urban centre. Indeed, a hospital is designed to treat the sick, a high school to educate young people, a supermarket for shop- ping, a tram for transporting people, but why not add the idea "Yes, but not only"? This is what creates the essence of a big city and the cohesion of its society. An airport is a slice of life and therefore a part of the city. A hospital without re- search and teaching is unthinkable; a high school open to activities other than those assigned by the school calendar is a better place. A city is not a mere collection of amenities, no matter how well-established they may be. We need to truly inhabit the spaces we use on a daily basis. Places that don’t lend them- selves to this human need contribute to human discomfort. What dœs it mean to "inhabit" an airport, a hospital, a super- market, a tram? This is the question at the core of urban planning. To inhabit is not just to reside, as we’ve long learned in certain soulless suburbs. Today, it is up to each public space – that is to say, its managers – to offer comfort for all despite intensity of use. Some suggest we shouldn't act, but rather go to the countryside to see how to imagine collective adjustments there. In 1860 Alphonse Allais quip- ped, "We should build the city in the countryside because the air is cleaner there", a joke that's unfortunately been too often followed to the letter, parti- cularly in the Paris region. One can’t erase metropolitan society with a ma- gic wand. Continuing to invent metro- politan comfort, in Greater Paris and elsewhere, is the order of the day. “ Continue to invent metropolitan comfort in Greater Paris ”

métropolitain dans le Grand Paris ”

How is the book industry doing? Ihe book sector is holding up well, with sales declining by only 3% in 2020. The French expressed their loyalty to independent bookstores by showing up en masse to retrieve books purchased via click & collect during the months of closure instead of buying online. However, without advice from booksellers, sales were concentrated around renowned authors and literary prize winners to the detriment of lesser-known authors and small publishing houses. What is the population's relationship to reading? Our compatriots prefer physical books over digital. In their spare time last year, which increased, there was a desire to reconnect with this form of intimacy, escape, and imagination, whether to be transported to a faraway place or make an analogy of what others have gone through before us - sales of Albert Camus’ The Plague exploded. Books became a safe haven, demonstrating that we are still a nation of readers, although numbers have declined in the last decade. What are future objectives for the book sector? Nurturing and developing readership is one of our top priorities. People between the ages of 15-25 are reading less. It is essential to rekindle the desire to read via a greater presence on social networks, more innovative short and narrative forms, book clubs to promote the exchange of ideas, working with our education system and recreation centres, and continuing to develop Partir en Livre, our summer children's literature program. Another challenge is to nd balance and lessen the risks of centralisation, with giant companies controlling the book chain, from writing to distribution. The government, which established a xed price for books 40 years ago under Minister Jack Lang, keeps an eye on the balance of this creative industry. That is why the CNL supports ction and non ction books, authors, small publishers, and independent bookstors facing more risk.

I l me revient, ces temps-ci, l’as- sertion du président d’une des grandes métropoles de France, lors d’un échange sur les perspec- tives stratégiques de son aéroport: «Un aéroport, c’est fait pour faire décoller et atterrir des avions» (ceci pour écarter les hypothèses de développement du territoire aéro- portuaire, jugé concurrent avec le cœur urbain). Certes! Mais encore? Un hôpital, c’est fait pour soigner des malades, un lycée pour édu- quer des jeunes gens, une grande surface pour faire ses courses, un tramway pour transporter des voyageurs, etc. On pourrait objec- ter à chacune de ces af rmations: «Oui, mais pas que!» Et c’est dans ce «pas que» que réside ce qui fait l’urbanité d’une grande ville prise dans son ensemble, et la cohésion de sa société. Un aéroport, c’est une tranche de vie, donc de ville; un hôpital sans recherche et ensei- gnement, cela ne tient pas; un ly- cée ouvert à d’autres fonctions que celles imparties par le calendrier scolaire, c’est mieux; les grandes surfaces, il serait temps de les ré- inventer, et ainsi de suite. La ville n’est pas une collection d’équipements, aussi aboutis soient-ils. Nous avons besoin d’habiter tous les lieux auxquels nous recourons au quotidien. Les

lieux qui ne se prêtent pas à cette nécessité concourent à rendre la ville inhabitable. Que signi e «ha- biter» un aéroport, un hôpital, une grande surface, un tramway? C’est toute la question de l’urbanisme. Habiter n’est pas résider, on le sait depuis longtemps dans ces espaces dits résidentiels des péri- phéries sans âme et somme toute si peu habitées. Aujourd’hui, il revient à chaque lieu fréquenté par un public, c’est-à-dire à ceux qui le gèrent, de faire la preuve qu’il peut proposer du confort pour tous malgré l’intensité des usages. De bons esprits proposent de ne pas insister et d’aller voir à la campagne comment y imaginer d’autres ajustements collectifs. La plaisanterie d’Alphonse Allais – «On devrait construire la ville à la campagne car l’air y est plus pur» – date de 1860, et a malheu- reusement été trop souvent suivie au pied de la lettre, en particulier en région parisienne. On ne ren- verse pas une société métropoli- taine d’un coup de baguette ma- gique. Prétendre tourner la page métropolitaine n’est ni réaliste ni soutenable. Continuer à inventer le confort métropolitain, dans le Grand Paris comme ailleurs dans le monde, est plus que jamais l’ordre du jour.

STÉPHANE MANEL

STÉPHANE MANEL

AVRIL - MAI - JUIN 2021

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PARIS VOUS AIME MAGAZINE

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