PARIS VOUS AIME MAGAZINE - N° 3

contraire une bénédiction pour le continent entier. En quelque sorte «libérée», l’Europe a pu croître et se diversi er, jusqu’à la révolution industrielle du xix e siècle qui a enté- riné le «miracle européen», faisant pro ter ses citoyens de richesses et d’opportunités sans commune mesure avec celles offertes par les autres régions du globe. Comme le souligne Scheidel, à l’époque, l’hégémonie de Rome sur le continent européen est tout à fait exceptionnelle. Après son ef- fondrement, l’Empire est remplacé par une myriade d’États succes- seurs germaniques en guerre les uns contre les autres. Une telle compétition encourage de manière décisive innovations et progrès. La guerre est coû- teuse, mais pas forcément rui- neuse, et lorsqu’un État adopte une nouvelle pratique, tous les autres l’imitent pour béné cier de cette ef cacité accrue. La façon dont se développent les États européens nourrit non seu- lement les tensions entre un pays et ses voisins, mais aussi celles qui ont cours à l’intérieur de ses frontières, produisant une certaine fragmentation du pouvoir. Ces di- visions multiples font émerger une forme de foi dans l’appareil législa- tif et dans sa capacité à protéger les droits de propriété de chacun face aux caprices du suzerain. Alors que s’annoncent la révolu- tion industrielle du xix e siècle et avec elle la « grande divergence » établissant la domination écono- mique de l’Europe et de l’Amé- rique du Nord qui a eu cours jusqu’à une période récente, les effets positifs du polycentrisme européen sont évidents. Le cli- mat de compétition y encourage l’innovation, tandis qu’une trop grande uniformité limite ailleurs toute ambition.

of Rome as “the greatest, perhaps, and most awful scene in the his- tory of mankind”. In his 2019 book Escape from Rome , Walter Schei- del rejects this long-established truism, arguing that the fall of Rome was actually a blessing for the continent. According to Schei- del, Europe was in fact “liberated”, able to develop and diversify up to the 19th century Industrial Rev- olution, which brought about the “European miracle”, allowing its citizens to bene t from wealth and opportunities far greater than those in any other part of the world. Scheidel emphasises that Rome’s long hegemony on the European continent was quite unique. After the Empire’s collapse, its vast in u- ence was replaced by myriad Ger- manic successor states at war with each other. Such competition stimulated inno-

vation and progress. War is expen- sive, but not necessarily ruinous, and when a state adopted a new system, the others followed suit in order to bene t from enhanced ef - ciency. The development of the European states not only fuelled tensions between countries and their neigh- bours, but also intensi ed internal hostilities, leading to the fragmen- tation of power. From these many divisions emerged a faith in the leg- islative apparatus and its ability to protect the property rights of every- one in the face of a ruler’s whims. The 19th century’s Industrial Revo- lution and Great Divergence, which together established Europe and North America’s global economic domination, demonstrated, until recent times, the positive effects of European polycentrism. This com- petitive environment encouraged innovation, since too much uni- formity tends to limit ambition.

POURQUOI IL FAUT SE RÉJOUIR DE LA FIN DE L’EMPIRE ROMAIN Pour l’historien Walter Scheidel,

L’unité perdue de l’Empire romain laisse place à une sorte de darwinisme géopolitique

In short, the fall of Rome was an advan- tage rather than a disaster for Europe. The lost unity of the Roman Empire gave way to a kind of geo- political Darwinism that favoured the survival and evolu-

The lost unity of the Roman Empire gave way to a kind of geopolitical Darwinism

WHY THE FALL OF THE ROMAN EMPIRE WAS A GOOD THING According to historian Walter Scheidel, the fall of Rome was a blessing for Europe because it led to economic, diplomatic, and military competition between states.

la chute de Rome fut une bénédiction pour l’Europe parce qu’elle favorisa la compétition économique, diplomatique et militaire entre États.

tion of the most successful states and encouraged the ourishing of smaller political entities within specific niches. For Scheidel, Rome’s best legacy for Europe was indeed its collapse, as the conti- nent’s ambitions would certainly have been limited had its domina- tion lasted forever. Découvrez Phébé sur www.lepoint.fr/phebe/ Béné ciez de l’intégralité des articles Phébé et du Point en vous abonnant à seulement 1€ le 1 er mois, sur abo.lepoint.fr/o re. decouverte. Discover Phébé and Le Point (in French) by subscribing for €1 for the rst month at abo.lepoint.fr/o re.decouverte.

En un mot, la chute de Rome n’est pas un désastre mais bien une aubaine pour l’Europe. L’unité perdue de l’Empire romain laisse place à une sorte de darwinisme géopolitique, favorisant la survie et l’évolution des États les plus performants, mais encourageant aussi l’épanouissement de plus petites entités politiques dans telle ou telle niche. Le meilleur legs de Rome à l’Europe est bien l’effon- drement de l’Empire, car, si son hégémonie avait réussi à se main- tenir pour toujours, celle-ci aurait constitué une limite supérieure à ce que le continent aurait pu ima- giner accomplir.

En collaboration avec Phébé , la veille d’idées internationale par Le Point

Philip Parker, historien indépendant et consultant

l’Empire romain formaient « peut- être le tableau le plus impression- nant et le plus important de l’histoire de l’humanité ». À contre-courant, Walter Scheidel rejette cette concep- tion établie de longue date dans son livre Escape from Rome , soute- nant que la chute de Rome n’a pas été une catastrophe, mais au

T he fall of the Roman Empire in 476 AD has long been regarded as a major catastrophe for Europe which threw the continent into chaos for centuries. The 18th century his- torian Edward Gibbon’s de nitive History of the Decline and Fall of the Roman Empire viewed the fall

L a chute de l’Empire ro- main en l’an 476 est tradi- tionnellement considérée comme une catastrophe absolue pour l’Europe, qui aurait précipité le continent dans un véritable chaos pendant plusieurs siècles. Edward Gibbon écrivit que le déclin et la chute de

© BORIS SÉMÉNIAKO

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